
Cuscionu 2018, photo ØrsØ, collaboration avec Emmanuelle Alberti
2002, de retour sur l’île après une échappée belle d'une année sur le continent. Virevoltant entre plusieurs choix de carrières, me voilà embarqué dans le monde culturel insulaire. Aventure ô combien palpitante qui commence au Lazaret Ollandini à Ajaccio, pour lequel je m’occupe de la régie et d’un tas d'autres choses. Cette année-là, un concert de musique contemporaine est organisé ; mes obligations me mènent à côtoyer un trio de musiciens tout à fait intéressant.
Malgré mes recherches, je ne parviens pas à retrouver avec certitude de quel trio il s'agit. J’en suis fort désolé car je leur dois ce qui sera ma plus belle rencontre avec l’art. Cependant je me souviens les avoir questionnés sur la musique qu’ils allaient jouer ce jour-là. Le violoncelliste me répond : “Une musique de l’orage, de la nature.” Le violoniste ajoute: “On joue la musique d’un compositeur qui était aussi un architecte et un mathématicien d’origine grec.”
C’est à peu près tout ce que ma mémoire peut relater de cette rencontre.
Malgré mes recherches, je ne parviens pas à retrouver avec certitude de quel trio il s'agit. J’en suis fort désolé car je leur dois ce qui sera ma plus belle rencontre avec l’art. Cependant je me souviens les avoir questionnés sur la musique qu’ils allaient jouer ce jour-là. Le violoncelliste me répond : “Une musique de l’orage, de la nature.” Le violoniste ajoute: “On joue la musique d’un compositeur qui était aussi un architecte et un mathématicien d’origine grec.”
C’est à peu près tout ce que ma mémoire peut relater de cette rencontre.
Le choc
La journée touche à sa fin, c’est l’été. Les chaises blanches en métal sont bien alignées dans la cour en forme de fer à cheval du Lazaret. Jean-Jacques Colonna d’Istria, mon boss, bouquine comme à son habitude dans une position inconfortable, un cigarillo au coin des lèvres. Un ami de San Benedetto l’accompagne. Le public est venu nombreux, étrangement ils sont tous vêtus de blanc. Moi, je suis en noir, de la tête au pied. Dans la coursive, les serveurs et les serveuses s'agitent, le bar sous l’olivier est plein, les petits fours sont mis en place.
Tout semble en ordre, les musiciens sont prêts, le public finit de s’installer et j’en fais de même. Le concert peut commencer.
Les premières notes font voltiger l’idée d’une musique confortable. L’invitation est tout autre, elle nécessite un sérieux engagement. C’est peu dire ! Faut croire que nous ne sommes pas très nombreux à être dans de bonnes dispositions : à la cinquième mesure, 99% de l’assemblée se lève et telle une nuée blanche se jette sur le buffet servi dans la coursive. Nous ne sommes plus que quatre, dispersés dans l’espace, désormais vide.
Je suis au premier rang et le trio constitué d’un violon, d’un violoncelle et d’un piano continue d’invoquer les éléments de la nature par le biais d’une mathématique sensible et musicale. Le temps n’a plus lieu de la manière habituelle, il est comme restructuré et l’écoute semble se faire à un autre niveau. Je vis un moment marquant et je le sais, je savoure cette sensation.
Tout semble en ordre, les musiciens sont prêts, le public finit de s’installer et j’en fais de même. Le concert peut commencer.
Les premières notes font voltiger l’idée d’une musique confortable. L’invitation est tout autre, elle nécessite un sérieux engagement. C’est peu dire ! Faut croire que nous ne sommes pas très nombreux à être dans de bonnes dispositions : à la cinquième mesure, 99% de l’assemblée se lève et telle une nuée blanche se jette sur le buffet servi dans la coursive. Nous ne sommes plus que quatre, dispersés dans l’espace, désormais vide.
Je suis au premier rang et le trio constitué d’un violon, d’un violoncelle et d’un piano continue d’invoquer les éléments de la nature par le biais d’une mathématique sensible et musicale. Le temps n’a plus lieu de la manière habituelle, il est comme restructuré et l’écoute semble se faire à un autre niveau. Je vis un moment marquant et je le sais, je savoure cette sensation.
La quête
2015, j’en suis toujours à me demander qui était ce compositeur et architecte d’origine grec qui avait chamboulé ma perception?
Je suis sur la route. À Ajaccio, ma compagne, toujours à l'affût d’une bonne nourriture intellectuelle, tombe sur le documentaire radiophonique : Iannis Xenakis, le résistant.
Elle m’envoie le lien du podcast avec une note: “Écoute, c’est lui que tu cherches!”
C’est bien lui, l’homme à l’origine du choc dont je ne me suis jamais remis.
J'apprends qu’il est né en Roumanie en 1922, d’origine grec, qu’il a résisté contre les nazis puis contre les colonels anglais, qu’il est un héros de guerre au sens le plus approprié du terme. Mais surtout j'apprends comment il fait sa musique, d’où lui viennent ses inspirations et ses observations, qu’il est un insulaire et un méditerranéen...
Dès mon retour, je me lance dans quelques recherches et je me mets au travail.
Je me mets au travail.
Je me mets au travail.
Je suis sur la route. À Ajaccio, ma compagne, toujours à l'affût d’une bonne nourriture intellectuelle, tombe sur le documentaire radiophonique : Iannis Xenakis, le résistant.
Elle m’envoie le lien du podcast avec une note: “Écoute, c’est lui que tu cherches!”
C’est bien lui, l’homme à l’origine du choc dont je ne me suis jamais remis.
J'apprends qu’il est né en Roumanie en 1922, d’origine grec, qu’il a résisté contre les nazis puis contre les colonels anglais, qu’il est un héros de guerre au sens le plus approprié du terme. Mais surtout j'apprends comment il fait sa musique, d’où lui viennent ses inspirations et ses observations, qu’il est un insulaire et un méditerranéen...
Dès mon retour, je me lance dans quelques recherches et je me mets au travail.
Je me mets au travail.
Je me mets au travail.
Campomoro

Maison tour construite par Xenakis à Campomoro
Depuis ce jour, le temps n’a plus jamais été le même et sans m’en rendre compte, je tisse entre Xenakis et ma trajectoire une toile semblable à l’une de ses partitions.
À ce propos, saviez-vous que le pavillon Philips et Metastasis ont une origine commune?
Une origine qui trouve place et lieu, entre autres, à Campomoro, où depuis les années cinquante, ce génie du XXe siècle vient se reconnecter à la Méditerranée, qu’il décrit comme étant la seule mer, toutes les autres n’étant que des lacs.
Xenakis avait pour intérêt, et ce à partir de son enfance sur l’île de Spetses, l’observation des formes de la nature, des architectures sonores qu’il écoute lors des tempêtes d’été à Campomoro, dans lesquelles il aime se lancer avec son canoë. Quand vient la nuit, il contemple Saturne et ses anneaux. Le jour, tout porte à croire qu’il observe les toiles d’araignées dans le maquis, celles qui forment un cône. Une forme qu’il va mathématiser, puisqu’il s’agit en effet d’une hyperboloïde.
Puis, il transforme cette arithmétique en musique et en architecture. Donnant naissance à deux chefs- d'œuvre, n’ayons pas peur des mots. Xenakis créait sur la même base cette folie architecturale qu’est le pavillon Philips et cette pièce incroyable qu’est Metastasis. Il se réfère à Goethe, qui disait : “L’architecture est une musique pétrifiée.” Il ajoute : “La musique est une architecture mobile.”
À ce propos, saviez-vous que le pavillon Philips et Metastasis ont une origine commune?
Une origine qui trouve place et lieu, entre autres, à Campomoro, où depuis les années cinquante, ce génie du XXe siècle vient se reconnecter à la Méditerranée, qu’il décrit comme étant la seule mer, toutes les autres n’étant que des lacs.
Xenakis avait pour intérêt, et ce à partir de son enfance sur l’île de Spetses, l’observation des formes de la nature, des architectures sonores qu’il écoute lors des tempêtes d’été à Campomoro, dans lesquelles il aime se lancer avec son canoë. Quand vient la nuit, il contemple Saturne et ses anneaux. Le jour, tout porte à croire qu’il observe les toiles d’araignées dans le maquis, celles qui forment un cône. Une forme qu’il va mathématiser, puisqu’il s’agit en effet d’une hyperboloïde.
Puis, il transforme cette arithmétique en musique et en architecture. Donnant naissance à deux chefs- d'œuvre, n’ayons pas peur des mots. Xenakis créait sur la même base cette folie architecturale qu’est le pavillon Philips et cette pièce incroyable qu’est Metastasis. Il se réfère à Goethe, qui disait : “L’architecture est une musique pétrifiée.” Il ajoute : “La musique est une architecture mobile.”
Les vertiges de la création
Jusqu’ici, je sais à peine qui est Goethe et mon intérêt pour la philosophie est quasi inexistant.
Les mathématiques, à la limite, me parlent davantage. Après tout, j'ai étudié l’électronique. Quant à l’architecture, peut-être suis-je capable d’en apprécier quelques aspects, mais rien de plus. Je ne me destine pas particulièrement à l’art, même si ma pratique reste constante.
Je grandis à Ajaccio et dans mon environnement, il n’y a pas d’artiste vivant comme tel. Ma nature créative doit attendre mes 21 ans pour trouver de l’autre côté de la méditerranée un environnement culturel épanouissant.
Suite à cette première escapade de quatre ans, passage quasi obligé de tout jeune insulaire, je rentre en Corse plein d’enthousiasme. Un enthousiasme devenu douleur assez rapidement, faute de trouver quelques bonnes âmes avec qui le partager, pas faute d'essayer.
Cependant je ne m’avoue pas vaincu et je créais un collectif à moi tout seul en attendant d’avoir mieux. Ce mieux arrivera plus tard avec l’étrange atelier.
À partir de là, je commence à accumuler les compétences, toujours très proches des affaires créatives. La musique, la photographie font partie de ma vie depuis tout petit. Le reste n’est qu’une prolongation logique de ces deux choses. Le problème c’est qu’il me semble, pour l’heure, impossible d’être tout et de tout faire. Me fallait-il faire un choix? Oui, mais lequel?
“Il ne faut pas mettre les choses comme ça, en ordre. Il y a Valéry qui disait, Paul Valéry, que l’homme jusqu’à 18, 20 ans peut tout faire, faire n’importe quoi, il est de tout, c’est très joli ça. Puis ensuite, la vie lui coupe les ailes petit-à-petit et devient éventuellement une seule chose. Je crois qu’il a dit “éventuellement” sinon je le dis.”
C’est ce que Xenakis répond lors d’un entretien, où un jeune homme lui demande de se définir.
Il dit aussi que la spécialisation est une voie sans issue, réflexion qui me tient éveillé. Il ne m’en faut pas plus! Je viens d’être, en quelque sorte, validé. Tout semble définitivement possible et ce, grâce à une œuvre qui m’a percuté et a transformé mon regard sur le monde.
Je suis désormais comme Alice, je viens de tomber dans le terrier du lapin.
Un terrier à l’arborescence en constante évolution, impossible à parcourir sans s’inscrire soi-même dans une quête, elle-même, en constante évolution.
Il me faut identifier une entrée : Qu’est-ce que la musique contemporaine?
Vaste sujet, peut-être y a-t-il moyen de simplifier?
Qu’est-ce que la musique?
Le Larousse nous dit : “La musique est un art qui permet aux hommes de s’exprimer par l’intermédiaire des sons.” Une récente étude révèle que les chimpanzés jouent des percussions, je pose ça là. Pour Jean-Jacques Rousseau : “La musique est l'art d'accommoder les sons de manière agréable à l'oreille.” J’aime bien cette définition, car de nombreuses choses sont agréables à l’oreille, le vent dans les arbres, le chant d’un oiseau…
Cependant je préfère de loin la définition de Leibniz, qui nous dit : “La musique est l'arithmétique de l’âme.” Mais oui, la musique c’est des maths, une sorte d’équation dont notre cerveau a, de manière innée, le résultat. Pour mettre tout le monde d’accord, voyons ce que Ludwig Von Beethoven nous dit : “La musique est une révélation plus haute que toute sagesse et toute philosophie.” On ne peut qu'acquiescer.
J’ajoute quand même que la musique est ce que l’on écoute comme tel. De ce fait, je pose la prochaine question: Le bruit est-il de la musique? C’est à ce moment que Pierre Schaeffer fait son entrée, je découvre la musique concrète et son étude au chemin de fer qu’il réalise en 1948, un voyage sonore me rappelant mon adolescence.
Les mathématiques, à la limite, me parlent davantage. Après tout, j'ai étudié l’électronique. Quant à l’architecture, peut-être suis-je capable d’en apprécier quelques aspects, mais rien de plus. Je ne me destine pas particulièrement à l’art, même si ma pratique reste constante.
Je grandis à Ajaccio et dans mon environnement, il n’y a pas d’artiste vivant comme tel. Ma nature créative doit attendre mes 21 ans pour trouver de l’autre côté de la méditerranée un environnement culturel épanouissant.
Suite à cette première escapade de quatre ans, passage quasi obligé de tout jeune insulaire, je rentre en Corse plein d’enthousiasme. Un enthousiasme devenu douleur assez rapidement, faute de trouver quelques bonnes âmes avec qui le partager, pas faute d'essayer.
Cependant je ne m’avoue pas vaincu et je créais un collectif à moi tout seul en attendant d’avoir mieux. Ce mieux arrivera plus tard avec l’étrange atelier.
À partir de là, je commence à accumuler les compétences, toujours très proches des affaires créatives. La musique, la photographie font partie de ma vie depuis tout petit. Le reste n’est qu’une prolongation logique de ces deux choses. Le problème c’est qu’il me semble, pour l’heure, impossible d’être tout et de tout faire. Me fallait-il faire un choix? Oui, mais lequel?
“Il ne faut pas mettre les choses comme ça, en ordre. Il y a Valéry qui disait, Paul Valéry, que l’homme jusqu’à 18, 20 ans peut tout faire, faire n’importe quoi, il est de tout, c’est très joli ça. Puis ensuite, la vie lui coupe les ailes petit-à-petit et devient éventuellement une seule chose. Je crois qu’il a dit “éventuellement” sinon je le dis.”
C’est ce que Xenakis répond lors d’un entretien, où un jeune homme lui demande de se définir.
Il dit aussi que la spécialisation est une voie sans issue, réflexion qui me tient éveillé. Il ne m’en faut pas plus! Je viens d’être, en quelque sorte, validé. Tout semble définitivement possible et ce, grâce à une œuvre qui m’a percuté et a transformé mon regard sur le monde.
Je suis désormais comme Alice, je viens de tomber dans le terrier du lapin.
Un terrier à l’arborescence en constante évolution, impossible à parcourir sans s’inscrire soi-même dans une quête, elle-même, en constante évolution.
Il me faut identifier une entrée : Qu’est-ce que la musique contemporaine?
Vaste sujet, peut-être y a-t-il moyen de simplifier?
Qu’est-ce que la musique?
Le Larousse nous dit : “La musique est un art qui permet aux hommes de s’exprimer par l’intermédiaire des sons.” Une récente étude révèle que les chimpanzés jouent des percussions, je pose ça là. Pour Jean-Jacques Rousseau : “La musique est l'art d'accommoder les sons de manière agréable à l'oreille.” J’aime bien cette définition, car de nombreuses choses sont agréables à l’oreille, le vent dans les arbres, le chant d’un oiseau…
Cependant je préfère de loin la définition de Leibniz, qui nous dit : “La musique est l'arithmétique de l’âme.” Mais oui, la musique c’est des maths, une sorte d’équation dont notre cerveau a, de manière innée, le résultat. Pour mettre tout le monde d’accord, voyons ce que Ludwig Von Beethoven nous dit : “La musique est une révélation plus haute que toute sagesse et toute philosophie.” On ne peut qu'acquiescer.
J’ajoute quand même que la musique est ce que l’on écoute comme tel. De ce fait, je pose la prochaine question: Le bruit est-il de la musique? C’est à ce moment que Pierre Schaeffer fait son entrée, je découvre la musique concrète et son étude au chemin de fer qu’il réalise en 1948, un voyage sonore me rappelant mon adolescence.
Musique contemporaine et technologies
1990, J’ai 16 ans, je prends la micheline pour aller au lycée Fred Scamaroni à Montesoro. J’écoute le train comme une musique avec ses changements soudains au passage du tunnel de Venaco, de la brève rythmique du pont Eiffel, de l'accélération des tempi à Casamozza, autant de polyrythmies que de changements harmoniques voire de micro tonalités, une véritable symphonie du rail. Dans le wagon, aucun autre son ne peut rivaliser, l’orchestre de métal joue bien trop fort.
Schaeffer en charge du GRM (groupe de recherche musicale) dès sa création en 1958, entreprend d’agrandir les timbres de l’orchestre en catégorisant méthodiquement les familles de son et crée la musique concrète. Dans son sillage, toute une avant-garde dont fait partie Xenakis.
D’ailleurs, lorsqu’il est au GRM, il est le premier à parvenir au résultat d’une synthèse granulaire, en combinant plusieurs magnétophones jouant le même échantillon sonore à différentes vitesses. Ainsi, il compose “Concret Ph” pour le pavillon Philips.
Aujourd’hui il est beaucoup plus simple de parvenir à ce résultat avec des synthétiseurs très abordables. Xenakis, innove et les traces de ses innovations sont parfaitement palpables à notre époque. Il est, par exemple, très commun d’avoir un potentiomètre sur les synthétiseurs actuels, permettant de rendre aléatoire certains paramètres.
Avant les années 70, Xenakis réalise ses calculs de probabilité à la main. Afin d’écrire une musique stochastique, il utilise le calcul de Brown, chose que je retrouve dans mes machines.
Depuis la révolution numérique, j’explore les capacités des technologies. Force est de constater que le potentiel est incroyable, il aurait certainement apprécié toutes ces possibilités, qu’il aurait obligatoirement transcendées.
Pour ma part, j’essaie de garder en vue que cet accès incommensurable à de nombreux outils créatifs et culturels est un privilège.
C’est pour cela que je ne me limite à rien. Comme un enfant. Même si cela me fait perdre la notion du temps.
Faut dire que le temps est une chose tout à fait flexible pour moi, il me semble toujours plus court que ce qu’il est. Souvent je lève la tête et je m’aperçois qu’une décennie vient de passer.
Schaeffer en charge du GRM (groupe de recherche musicale) dès sa création en 1958, entreprend d’agrandir les timbres de l’orchestre en catégorisant méthodiquement les familles de son et crée la musique concrète. Dans son sillage, toute une avant-garde dont fait partie Xenakis.
D’ailleurs, lorsqu’il est au GRM, il est le premier à parvenir au résultat d’une synthèse granulaire, en combinant plusieurs magnétophones jouant le même échantillon sonore à différentes vitesses. Ainsi, il compose “Concret Ph” pour le pavillon Philips.
Aujourd’hui il est beaucoup plus simple de parvenir à ce résultat avec des synthétiseurs très abordables. Xenakis, innove et les traces de ses innovations sont parfaitement palpables à notre époque. Il est, par exemple, très commun d’avoir un potentiomètre sur les synthétiseurs actuels, permettant de rendre aléatoire certains paramètres.
Avant les années 70, Xenakis réalise ses calculs de probabilité à la main. Afin d’écrire une musique stochastique, il utilise le calcul de Brown, chose que je retrouve dans mes machines.
Depuis la révolution numérique, j’explore les capacités des technologies. Force est de constater que le potentiel est incroyable, il aurait certainement apprécié toutes ces possibilités, qu’il aurait obligatoirement transcendées.
Pour ma part, j’essaie de garder en vue que cet accès incommensurable à de nombreux outils créatifs et culturels est un privilège.
C’est pour cela que je ne me limite à rien. Comme un enfant. Même si cela me fait perdre la notion du temps.
Faut dire que le temps est une chose tout à fait flexible pour moi, il me semble toujours plus court que ce qu’il est. Souvent je lève la tête et je m’aperçois qu’une décennie vient de passer.
Écrire sur Xenakis et la Corse

Cuscionu 2018, photo ØrsØ, collaboration avec Emmanuelle Alberti
En 2018, je parviens à finaliser une première version de l’écriture intitulée “La Tour, sur les traces de Iannis Xenakis en Corse”.
Mais le travail est loin d’être fini. J'entreprends mille choses en même temps. Je me construis.
Avec le recul, je prends conscience que toutes mes expérimentations sont utiles à une meilleure compréhension de mon sujet. Même mes erreurs me donnent des réponses. Mais c’est une expérience tout à fait particulière qui me permettra de vivre ce que j'appelle désormais “La révélation”.
2018, je suis sur le plateau du Cuscionu, c’est la fin du printemps. Je m’apprête à passer quatre jours dans la montagne dans le but de créer une œuvre landart. Dans ce décor verdoyant dont la beauté est inégalable, je cherche une voie qui aurait du sens.
Je rencontre Emmanuelle Alberti, danseuse chorégraphe. qui est là pour les mêmes raisons, mais dans son domaine. Elle me parle d'expérience faite par Amagatsu, chorégraphe japonais de Butô. Je lui empreinte le livre dont il est question, il y est décrit une expérience qui retient mon intention: “Dans une pièce vide, des œufs sont posés en équilibre et dix danseurs évoluent dans cet espace en essayant de ne pas faire bouger l’air.”
Le premier matin, inspiré par cette lecture et le mouvement Mono-Ha, j'entreprends quelques discrètes installations d’objets de la nature que je mets en équilibre. L’espace ainsi restructuré devient la scène de la danseuse qui se lance dans un très long geste en lien avec mon intention. Un geste d’une lenteur magnifique, comme un infini en soi. Emmanuelle finit sa performance.
L’orage éclate. Au début, personne ne bouge, mais la pluie s'épaissit et en un rien de temps, cette nature si accueillante devient des plus hostiles. Je ne saurais vous dire pourquoi, alors que tout le monde court se mettre à l'abri, moi, je reste là.
Sous cet orage de montagne, je me sens comme une particule dans le cosmos.
Je vis un moment marquant et je le sais, je savoure cette sensation avec un profond sentiment de déjà vu.
Seize années se sont passées entre mes 29 ans et cet instant de grâce. Pour autant, chacun de mes atomes se souvient de ce ressenti si particulier, ce sentiment d’être peu de chose face à l’immensité du cosmos. Tout devient clair, la musique de Xenakis est comme cet orage, elle vous donne la joie de trouver, ne serait-ce qu’un instant, votre place dans l’univers.
Je comprends que l’art est de la plus grande importance et je m’aperçois, au même moment, que je viens à peine d’égratigner, la surface d’un monde sans bord.
Bien entendu, la direction de mon travail bifurque vers quelque chose d’autre.
À peine descendu de la montagne, me voilà en train de reconfigurer le studio d’enregistrement de l’Etrange Atelier. Je débusque tous les haut-parleurs que j’ai à ma disposition et me lance dans une création sonore spatiale. S'ensuivent de nombreux projets mêlant installations plastiques et son spatialisé, j’y ajoute parfois la danse et/ou la vidéo. Mais je me rends compte que la multiplication des accès n’est pas efficace, je cherche désormais à créer une œuvre globale.
Pendant un certain temps, sans m’en apercevoir, je mets de côté ce projet de film sur Xenakis. Probablement pour me concentrer sur mes nouvelles découvertes. Par ailleurs, une étape importante n’a pas été franchie. Je ne suis pas encore entré en contact avec sa fille, que je savais être à Campomoro. Je lui ai pourtant écrit un certain nombre de lettres, jamais envoyées.
Le temps passe, mes questionnements sur son héritage ne cessent jamais. Dès que l’occasion se présente, je parle de lui, de son œuvre, de sa pensée révolutionnaire, au point que la Corse entière semble connaître ma préoccupation pour Iannis Xenakis. Ça a pour effet de me faire rencontrer en 2024, soit 22 années plus tard, Mâkhi Xenakis sa fille, lors du festival Altaleghje. On échange nos contacts.
Mais le travail est loin d’être fini. J'entreprends mille choses en même temps. Je me construis.
Avec le recul, je prends conscience que toutes mes expérimentations sont utiles à une meilleure compréhension de mon sujet. Même mes erreurs me donnent des réponses. Mais c’est une expérience tout à fait particulière qui me permettra de vivre ce que j'appelle désormais “La révélation”.
2018, je suis sur le plateau du Cuscionu, c’est la fin du printemps. Je m’apprête à passer quatre jours dans la montagne dans le but de créer une œuvre landart. Dans ce décor verdoyant dont la beauté est inégalable, je cherche une voie qui aurait du sens.
Je rencontre Emmanuelle Alberti, danseuse chorégraphe. qui est là pour les mêmes raisons, mais dans son domaine. Elle me parle d'expérience faite par Amagatsu, chorégraphe japonais de Butô. Je lui empreinte le livre dont il est question, il y est décrit une expérience qui retient mon intention: “Dans une pièce vide, des œufs sont posés en équilibre et dix danseurs évoluent dans cet espace en essayant de ne pas faire bouger l’air.”
Le premier matin, inspiré par cette lecture et le mouvement Mono-Ha, j'entreprends quelques discrètes installations d’objets de la nature que je mets en équilibre. L’espace ainsi restructuré devient la scène de la danseuse qui se lance dans un très long geste en lien avec mon intention. Un geste d’une lenteur magnifique, comme un infini en soi. Emmanuelle finit sa performance.
L’orage éclate. Au début, personne ne bouge, mais la pluie s'épaissit et en un rien de temps, cette nature si accueillante devient des plus hostiles. Je ne saurais vous dire pourquoi, alors que tout le monde court se mettre à l'abri, moi, je reste là.
Sous cet orage de montagne, je me sens comme une particule dans le cosmos.
Je vis un moment marquant et je le sais, je savoure cette sensation avec un profond sentiment de déjà vu.
Seize années se sont passées entre mes 29 ans et cet instant de grâce. Pour autant, chacun de mes atomes se souvient de ce ressenti si particulier, ce sentiment d’être peu de chose face à l’immensité du cosmos. Tout devient clair, la musique de Xenakis est comme cet orage, elle vous donne la joie de trouver, ne serait-ce qu’un instant, votre place dans l’univers.
Je comprends que l’art est de la plus grande importance et je m’aperçois, au même moment, que je viens à peine d’égratigner, la surface d’un monde sans bord.
Bien entendu, la direction de mon travail bifurque vers quelque chose d’autre.
À peine descendu de la montagne, me voilà en train de reconfigurer le studio d’enregistrement de l’Etrange Atelier. Je débusque tous les haut-parleurs que j’ai à ma disposition et me lance dans une création sonore spatiale. S'ensuivent de nombreux projets mêlant installations plastiques et son spatialisé, j’y ajoute parfois la danse et/ou la vidéo. Mais je me rends compte que la multiplication des accès n’est pas efficace, je cherche désormais à créer une œuvre globale.
Pendant un certain temps, sans m’en apercevoir, je mets de côté ce projet de film sur Xenakis. Probablement pour me concentrer sur mes nouvelles découvertes. Par ailleurs, une étape importante n’a pas été franchie. Je ne suis pas encore entré en contact avec sa fille, que je savais être à Campomoro. Je lui ai pourtant écrit un certain nombre de lettres, jamais envoyées.
Le temps passe, mes questionnements sur son héritage ne cessent jamais. Dès que l’occasion se présente, je parle de lui, de son œuvre, de sa pensée révolutionnaire, au point que la Corse entière semble connaître ma préoccupation pour Iannis Xenakis. Ça a pour effet de me faire rencontrer en 2024, soit 22 années plus tard, Mâkhi Xenakis sa fille, lors du festival Altaleghje. On échange nos contacts.
Laisser décanter, rester disponible, poursuivre
2024, j’ai enfin envoyé une lettre de six pages à Mâkhi. En réponse, elle m’invite à Campomoro, dans la maison familiale, là où se trouve la dernière œuvre architecturale de son père, La tour elliptique, là, perchée dans le maquis entre ciel et mer.
Ce soir-là, après le dîner, je dormirais dans la bergerie dans laquelle il a vécu. Bien sûr, je n’ai pas sommeil. Là, sur la terrasse face à la tour, je tente vainement de voir moi aussi les anneaux de Saturne. Trop de pollution lumineuse, les myriades d’étoiles ne sont pas au rendez-vous. Plus bas, à quelques centaines de mètres à vol d’oiseau, un établissement de nuit, passe du Céline Dion à fond les ballons. La musique retentit créant, contre toute attente, un écho tout à fait intéressant. J’en ris encore.
Le matin, Mâkhi et moi avons une conversation sur son père. Elle me confie des anecdotes et des informations dont je n’avais pas connaissance. Une en particulier, retient mon attention. J’y reviens plus tard.
Je considère que je suis une personne probabiliste : le hasard pour moi n’existe pas, c’est juste une probabilité que l’on ne parvient pas à calculer. Ma rencontre avec l'œuvre de Xenakis a généré des causalités fabuleuses. Cela m’a permis d’apercevoir la complexité du monde par un biais inédit. J’ai pu confirmer certaines de mes observations grâce aux siennes et mettre en application ma pensée et ma sensibilité à cause de son œuvre et aussi la nature. Quand je dis nature, je pense au cosmos tout entier. Un peu comme j’imagine qu’il l’entendait. Après tout, nous avons regardé le même ciel, senti le même vent transportant les senteurs du maquis.
Cet Ulysse des temps modernes aimait la Corse, quand il en parle, je comprends.
Il répond à une interview dans l'émission “l’invité du dimanche” dans les années 70, assis sur un rocher à la forme organique de Campomoro :
Ce soir-là, après le dîner, je dormirais dans la bergerie dans laquelle il a vécu. Bien sûr, je n’ai pas sommeil. Là, sur la terrasse face à la tour, je tente vainement de voir moi aussi les anneaux de Saturne. Trop de pollution lumineuse, les myriades d’étoiles ne sont pas au rendez-vous. Plus bas, à quelques centaines de mètres à vol d’oiseau, un établissement de nuit, passe du Céline Dion à fond les ballons. La musique retentit créant, contre toute attente, un écho tout à fait intéressant. J’en ris encore.
Le matin, Mâkhi et moi avons une conversation sur son père. Elle me confie des anecdotes et des informations dont je n’avais pas connaissance. Une en particulier, retient mon attention. J’y reviens plus tard.
Je considère que je suis une personne probabiliste : le hasard pour moi n’existe pas, c’est juste une probabilité que l’on ne parvient pas à calculer. Ma rencontre avec l'œuvre de Xenakis a généré des causalités fabuleuses. Cela m’a permis d’apercevoir la complexité du monde par un biais inédit. J’ai pu confirmer certaines de mes observations grâce aux siennes et mettre en application ma pensée et ma sensibilité à cause de son œuvre et aussi la nature. Quand je dis nature, je pense au cosmos tout entier. Un peu comme j’imagine qu’il l’entendait. Après tout, nous avons regardé le même ciel, senti le même vent transportant les senteurs du maquis.
Cet Ulysse des temps modernes aimait la Corse, quand il en parle, je comprends.
Il répond à une interview dans l'émission “l’invité du dimanche” dans les années 70, assis sur un rocher à la forme organique de Campomoro :
- ”En Corse, le soleil, la mer et l’absence de l’homme, c'est-à-dire la nature telle qu’elle était dans la préhistoire et aussi l’histoire même, l’histoire du début de la civilisation méditerranéenne.
Ah oui, il y a autre chose aussi, pourquoi la Corse? c’est un ciel extraordinaire. La nuit, on peut voir les myriades d’étoiles et avec un petit télescope de rien du tout on peut voir les anneaux de Saturne, on peut vivre sur la Lune.”
Il nous donne envie de voir le monde à travers son regard. Il lui arrive aussi de prophétiser notre époque contemporaine avec une certaine précision. Tout ce qu’il nous dit semble être là pour nous aider à réfléchir à un autre dessein pour l’humanité. Mais le questionnement qu’il propose le plus important à mes yeux, est le suivant : La musique de demain, en procédant à une structuration inédite, particulière de l'espace et du temps, pourrait devenir un outil de transformation de l'homme, en influant sur sa structure mentale [1].
Cette idée me hante et m’ouvre un champ de recherche exponentiel. Cela m’influence et en définitive, me pousse à développer par mes propres moyens, un questionnement à propos du temps flexible.
Ou comment permettre par un biais sensible, la sensation d’une temporalité inaccessible pour nos perceptions faillibles?
J'entends par là, des temps longs, comme celui de la géologie ou d’un atome, des cas extrêmes. Le temps des arbres aussi, qui pour nous, semblent vieux dès lors qu’ils ont cent ans, alors qu’il n’en est rien. À ce sujet, Mâkhi m’apprend qu’à la fin de sa vie, son père s’occupe surtout de ses arbres justement. Il les a planté lui-même, me dit-elle. Cela, en effet, retient mon intention et m’offre une nouvelle perspective sur qui il est.
Iannis Xenakis est plus qu’un observateur lambda, il a cette capacité à nous traduire le monde. Sa musique, que l’on considère comme savante avant tout, est surtout des plus sensibles. Elle se vit tel un événement spectaculaire et inédit. C’est d’ailleurs comme ça que je l’ai vécu la première fois et je ne fus pas le seul. Vous vous souvenez, je vous parlais de Jean-Jacques Colonna d’Istria, mon boss au Lazaret? Ce soir-là, il était accompagné par un ami Berger de San Benedetto qui, d’après Jean-Jacques, que j’ai revu, il y a à peu près cinq ans, a été profondément marqué par ce concert et la musique de Xenakis. À tel point qu’il en parle encore.
[1] Makis Solomos. LES TROIS SONORITÉS XENAKIENNES. Makis (Gérassimos) Solomos. Circuit: musiques contemporaines, 1994. hal-01789864.