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Georges Guironnet, pionnier du solaire



En créant Soleco au début des années 1980, Georges Guironnet est devenu un pionnier de la production d’énergie solaire sur l’île. L’ensemble de ses engagements professionnels et associatifs l’ont ensuite conforté dans ce combat au service d’une plus grande maîtrise énergétique, et il reste aujourd’hui un interlocuteur incontournable pour évoquer l’avenir énergétique de l’île. Son expertise, il l’a forgée sur le tas en tant qu’entrepreneur et que militant, et c’est sans doute pour ça qu’il la partage aussi naturellement, pour éclairer un débat trop souvent considéré comme technique alors qu’il s’agit d’exploiter des biens communs dans l’intérêt général.



Tonì Casalonga, 1977
Tonì Casalonga, 1977
L’affaire avait plutôt bien commencé avec la création du COMES, Commissariat à l’Energie Solaire dès 1978 suite aux chocs pétroliers de 1973 et 1975. Cette structure avait de grandes ambitions aider à l’émergence et accompagner les acteurs du domaine pour concurrencer à terme le pétrole. On ne parlait pas encore d’économies d’énergie de façon sérieuse.
En Corse, c’était l’époque où le professeur Georges Peri avait créé le CRES Centre de Recherches Etudes et Systèmes à Ajaccio, à la pointe des Sanguinaires, au lieu-dit Vignola, en partenariat associé au CNRS, avant même la réouverture de l’Université.
 

Pionnier inattendu

Personnellement, j’étais alors très loin de ces sujets, mais avec le soutien de ma femme Ghjuvanna Lanzalavi, en 1982 j’ai créé Soleco, la première entreprise d’installation de panneaux solaire thermique et photovoltaïques de l’île. C’était par pur militantisme, pour vivre en Corse et pour y créer des emplois dans un domaine d’intérêt général. Nous nous sommes installés à Ochjatana son village natal qui restera le siège de la société plus de 20 ans.
Cette décision était le fruit d’un engagement au long cours qui s’était traduit notamment par une participation très active à A Casa di u Populu Corsu à Paris au cours des années de braises…
C’est l’ingénieur et architecte Paul Casalonga, qui m’a encouragé à passer à l’acte. Je me souviendrais toujours de notre première rencontre à Orly à l’arrivée du dernier vol où il m’est apparu en ciré jaune de chantier au milieu des costumes cravates, et m’a ouvert son carnet d’adresses. J’étais alors dirigeant d’une société de pub et marketing florissante à Paris, ce qui m’a permis de lancer Soleco sans peser sur ses charges puisque je n’ai pris mon premier salaire que cinq ans plus tard, le 1er janvier 1988.

L’autre rencontre déterminante pour l’entreprise a été Jean-Pierre Navari, notre premier salarié en CDI : un homme d’exception, vrai couteau suisse avec une énorme capacité de travail et une volonté farouche, plus un sens de la responsabilité et de la gestion inné qu’il a développé au fil de notre collaboration. Ensuite il y a eu les vicissitudes et aléas de la création et du développement d’une entreprise dans un secteur nouveau avec une politique nationale absolument catastrophique de stop and Go qui a détruit la totalité des fabricants et installateurs militants du domaine sur le Continent et dans l’île. La volonté militante de notre équipe nous a permis de tenir contre vents et marées. Jean-Pierre devenu associé a naturellement repris les rênes il y a déjà de nombreuses d’années. Aujourd’hui, Soleco c’est plus de 60 collaborateurs et une activité internationale.

Les années de contraste entre espoir et déception

En 1992, j’avais organisé un voyage d’étude aux Etats-Unis pour le compte d’un Syndicat d’électrification dans le but de visiter les grandes centrales solaires et éoliennes de Californie ; j’avais demandé au professeur Georges Peri de bien vouloir nous accompagner, nous guider et servir d’interprète. J’ai pu constater l’aura et la reconnaissance dont il bénéficiait au plan international auprès des pionniers américains alors qu’ici il était à la peine, les herbes folles envahissaient la centrale cylindro-parabolique et les capteurs Trek à moteur Stirling qu’il avait mis au point pour produire de l’électricité avec la chaleur du soleil à Vignola.

Heureusement, c’était tout de même la belle époque du Festiventu auquel nous avons participé dès la première édition : le temps de l’enthousiasme et d’une certaine prise en compte des installations d’Energies Nouvelles et Renouvelables (ENR) avec le soutien de François Alfonsi à l’Agence Française pour la Maîtrise de l’Energie (AFME) dont la délégation régionale aurait été supprimée par le gouvernement sans une forte mobilisation.
Nous avions développé un procédé de Capteur à Air Solaire Autonome, le CASA, financé ces travaux à l’Università di Corsica, déposé des brevets, créé des succursales sur le Continent. La Corse vitrine du solaire j’y ai cru très fort, c’était devenu le discours ambiant. Dans les faits, ce fut hélas autre chose. Les soutiens insuffisants et l’absence totale de tissu économique ont laissé l’entreprise isolée, mal armée dans un développement solitaire alors trop audacieux.

Parallèlement, afin de fédérer les acteurs du domaine des énergies locales et renouvelables et monter collectivement en compétence nous avions créé en 1998, avec Claudine Mattei et Paul Casalonga l'association Aghjasole regroupant les professionnels pour être l’interlocutrice des institutions. Cette association a permis une réelle prise en compte collective de la maîtrise de l’énergie. Nous avons participé aux nombreux travaux et réunions sur le PADDUC *, la PPE (Programmation Pluriannuelle de l’Energie), le SCRAE (Schéma Régional Climat Air Energie) du CEAC (Conseil de l’Air de l’Energie et du Climat) etc…
Afin de dissocier le métier d’installateur et de Développeur, j’avais créé en 1999, Solaria Systems Lauréate du 1er Concours de jeunes entreprises innovantes sur la Climatisation naturelle. Cette distinction nous a donné droit à l’hébergement à Bastia Futura disposant du plateau technique du CRITT Protos, outil très prometteur qui fut hélas dissout l’année suivante. Là encore on s’est accroché, cette aventure a tout de même concouru pendant neuf ans à la formation de nombreux ingénieurs, techniciens et stagiaires de haut niveau avec de nombreux prix et reconnaissances, mais cela ne fait pas la rentabilité. Nous avions décroché un partenariat avec le pôle Développement d’EDF qui voulait à cette période se diversifier.

Sans la crise de 2007-2008 et le désengagement de EDF, la suite aurait pu être toute autre. J’ai dû mettre fin à l’aventure Solaria Systems, avec une note personnelle salée. La quasi totalité des salariés a été intégrée à Soleco, nous avons aidé les autres employés à créer un bureau d’études spécialisé maintenant réputé. Voilà pour un résumé rapide de nos aventures professionnelles dans le domaine du solaire.

Changer de paradigme

Les Nouvelles Technologies de l’Information et de Communication et les immenses progrès de la connaissance offres de nouveaux paradigmes à prendre en compte pour nous projeter dans un monde de ressources partagées. Après l’abandon des années 1990 le Centre de recherche de Vignola a su rebondir avec de magnifiques outils de recherche notamment Myrte et Paglia Orba qui poursuivent les travaux initiés par le Professeur Peri. Ces travaux de recherche doivent impérativement être développés et déboucher maintenant sur leurs applications économiques.
Autour des années 1995 l’énergie éolienne avait le vent en poupe avec l’Atlas du gisement éolien de la Corse demandé par la CTC, réalisé par la Compagnie du vent dirigé par Jean-Michel Germa, un éminent spécialiste ; cet Atlas révélait un important gisement d’énergie. Dans la foulée j’organisais à Calvi avec la complicité de Serge Orru lors d’un Festival du Vent en octobre 1997 le 1er Congrès Européen de l’énergie éolienne avec la venue de Vestas leader mondial de la fabrication d’éoliennes, un gros succès. Par la suite, nous avons posé des dizaines de mâts de mesures de vent sur les sites identifiés afin de préciser le potentiel, de nombreux projets ont été montés et puis... le tarif d’achat de l’électricité d’origine éolienne par EDF a été… divisé par deux. Les projets sont donc restés dans les cartons !

Très controversée car très visible et parfois bruyante lorsque les emplacements sont mal choisis, cette source d’énergie s’est développée de façon exponentielle partout dans le monde. Elle devance largement en puissance aujourd’hui la production d’origine nucléaire. En Corse, seulement deux sites sont exploités, il y a la place pour d’autres en prenant toutes les précautions nécessaires, et en particulier en ouvrant ces projets à une large participation citoyenne qui garantira de facto de meilleurs projets et une meilleure acceptation, ainsi qu’une source d’enrichissement partagée.
Une loi européenne du 23 mars 2003 obligeant EDF à acheter l’électricité produite par des acteurs privés, professionnels ou particuliers sous peine d’une amende de 600 millions d’euros a complètement changé le marché de l’électricité en France. Des professionnels de tailles nationale et internationale se sont créés ou développés dans l’île depuis des années 2005/2006 avec la possibilité de raccordement au réseau EDF des centrales photovoltaïques et éoliennes ; Soleco leader historique du domaine au plan national a d’ailleurs pris le train, avec aujourd’hui une activité internationale en développement.

Il faut maintenant encourager la création d’un tissu d’acteurs sur des bases économiques d’intérêts communs, comme les Sociétés d’Economie Mixte publiques/privés, les coopératives, les associations type Energie Partagée, avec des centrales communales etc… L’enjeu est de ne pas reproduire le schéma de mainmise de grands groupes qui s’enrichissent et vendent à des consommateurs captifs et passifs. L’autoconsommation personnelle et, depuis peu, collective représentent à la fois un bon moyen de produire une énergie utilisée directement en circuit court par le propriétaire/usager et un bon moyen pédagogique de sensibilisation. La maîtrise des dépenses d’énergie et le développement de l’exploitation des sources renouvelables engendrent de nombreuses créations d’emplois, plus de justice sociale, à condition de changer de modèle économique et bien entendu dans tous les cas de participer à la lutte contre le changement climatique et la sauvegarde d’un air respirable.
L’Association Négawatt dont je suis membre depuis 17 ans a récemment présenté le Scénario 100% énergies renouvelables pour la France, sans nucléaire en 2050. Un énorme travail, étayé, fiable. Après l’incrédulité et des réticences, ce scénario fait son chemin dans toutes les études prospectives. Il n’y a aucun doute que la Corse dispose des ressources pour cela. Le SRCAE (Schéma régional Climat Air Energie) établi par L’AUE de la CdC prévoit d’ailleurs l’équilibre dans son scénario dit de rupture, sauf que malgré ses efforts, nous ne sommes pas du tout sur la trajectoire.
Nous verrons dans un prochain article comment bifurquer.


Samedi 18 Juin 2022
Georges Guironnet


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