
Photogramme issu de Suis-je le gardien de mon frère ? de Frédéric Farrucci
Les causes profondes du recul important des activités d’élevage en Corse ont bien été identifiées par les acteurs du pastoralisme eux-mêmes. En premier lieu, on peut citer la référence mythique au pastoralisme d’antan et à ses traditions inscrites dans l’essence culturelle profondément pastorale de la société corse ; mais aussi, le caractère spéculatif du marché foncier dans lequel chacun est dans l’attente des opportunités que pourrait offrir la manne touristique avec les perspectives d’emploi et d’écoulement de produits de niches qu’elle pourrait apporter.
La rhétorique du déclin inéluctable
Cette référence relève en grande partie de l’insularisme, une tendance très fréquente dans les comportements et les représentations des habitants des îles et particulièrement présente en Corse. Pour Brunet [1], l’insularisme, avatar d’un monde globalisé qui met en avant la différentiation, est « la propension qu’ont souvent les insulaires à cultiver à l’excès leur spécificité pour bénéficier d’avantages non moins spécifiques ». Taglioni [2] identifie quelques conséquences de cette rhétorique : surévaluation des problèmes régionaux et en particulièrement de leur vulnérabilité par rapport aux régions tiers ; manque fréquent d’objectivité et de remise en question ; repli identitaire et attitude passéiste.
Par ailleurs, les îles d’Europe du Nord et de la Méditerranée bénéficient de fonds structurels et de dispositions particulière pour pallier les effets de l’insularité considérée comme un handicap au développement et accentué par le poids de l’histoire. La sensibilisation des institutions communautaires à la cause insulaire a été un processus long et laborieux [3].
On voit aujourd’hui apparaître également la crainte rampante et légitime que les subventions européennes spécifiques aux îles diminuent en raison de l’aggravation de problèmes globaux sociaux et économiques communs à toute l’Union européenne comme ceux liés au changement climatique. Sans remettre en cause évidemment la réalité de ces spécificités, on constate que le déterminisme insulaire est aussi mis en avant pour préserver les avantages acquis et sous-entendre qu’il y a peu de chances que les îles soient un jour « comme les autres ».
Alors que d’autres secteurs de l’agriculture corse ont connu une dynamique et un développement remarquable ces dernières décennies (oléiculture, agrumiculture, viticulture et dans une moindre mesure, apiculture ou castanéiculture), l’élevage et le pastoralisme ont subi de plein fouet les effets de cet insularisme. En effet, le pastoralisme et ses fonctions sociales et environnementales sont en interaction beaucoup plus fortes que les autres productions avec les activités touristiques et leur diversification, la préservation de la biodiversité, la protection des espaces naturels, la lutte contre les feux de forêts.
Ceci peut expliquer en grande partie ses difficultés avec d’autres causes qu’on retrouve ailleurs (pénibilité, renchérissement des intrants, investissements nécessaires élevés, etc.). De plus, la folklorisation du pastoralisme, de son histoire, de sa culture, n’est souvent devenu qu’un simple instrument de promotion touristique. La mise en avant d’une authenticité galvaudée n’est plus qu’un argument marketing vis-à-vis des concurrents de la Corse en matière de tourisme.
Par ailleurs, les îles d’Europe du Nord et de la Méditerranée bénéficient de fonds structurels et de dispositions particulière pour pallier les effets de l’insularité considérée comme un handicap au développement et accentué par le poids de l’histoire. La sensibilisation des institutions communautaires à la cause insulaire a été un processus long et laborieux [3].
On voit aujourd’hui apparaître également la crainte rampante et légitime que les subventions européennes spécifiques aux îles diminuent en raison de l’aggravation de problèmes globaux sociaux et économiques communs à toute l’Union européenne comme ceux liés au changement climatique. Sans remettre en cause évidemment la réalité de ces spécificités, on constate que le déterminisme insulaire est aussi mis en avant pour préserver les avantages acquis et sous-entendre qu’il y a peu de chances que les îles soient un jour « comme les autres ».
Alors que d’autres secteurs de l’agriculture corse ont connu une dynamique et un développement remarquable ces dernières décennies (oléiculture, agrumiculture, viticulture et dans une moindre mesure, apiculture ou castanéiculture), l’élevage et le pastoralisme ont subi de plein fouet les effets de cet insularisme. En effet, le pastoralisme et ses fonctions sociales et environnementales sont en interaction beaucoup plus fortes que les autres productions avec les activités touristiques et leur diversification, la préservation de la biodiversité, la protection des espaces naturels, la lutte contre les feux de forêts.
Ceci peut expliquer en grande partie ses difficultés avec d’autres causes qu’on retrouve ailleurs (pénibilité, renchérissement des intrants, investissements nécessaires élevés, etc.). De plus, la folklorisation du pastoralisme, de son histoire, de sa culture, n’est souvent devenu qu’un simple instrument de promotion touristique. La mise en avant d’une authenticité galvaudée n’est plus qu’un argument marketing vis-à-vis des concurrents de la Corse en matière de tourisme.
[1] Brunet R. (dir.), 1993. Les mots de la géographie, Paris/Montpellier, La Documentation française/Reclus, 518 p.
[2] Taglioni, F., 2010. Lʼinsularisme : une rhétorique bien huilée dans les petits espaces insulaires. In "Comme un parfum d'île", O. Sevin, Paris, Presse universitaire Paris-Sorbonne (PUPS), p. 421-435.
[3] Qui a conduit à la reconnaissance de la situation particulière des îles dans le traité d’Amsterdam mais aussi à la constitution du Groupement IMEDOC des îles de la Méditerranée Occidentale, Corse, Baléares, Sardaigne, Sicile, pour faire front commun et faire valoir les problèmes réputés communs.
La marginalisation de la fonction productive?
Dans ces conditions, la fonction productive passe vite au second plan et l’autonomie alimentaire ne devient qu’un slogan sans feuille de route précise. Il faut garder la manne financière des aides de la PAC même (et surtout) si elles ne contribuent pas à l’autonomie alimentaire de la Corse. La logique des « élevages à primes » sans véritable production a ainsi conduit à une corruption profonde du système qu’elle nourrit que certains assimilent même à des comportements mafieux.
Et les politiques doivent veiller à ne pas activer des conflits qui pourraient déstabiliser la cohésion interne de la société ou fragiliser les négociations souvent difficiles avec l’Etat central ou la Commission européenne pour faire évoluer le statut de l’île. Paradoxalement, en affirmant de manière excessive leur différence, les îles comme la Corse peuvent aggraver leurs fragilités en ne se donnant pas les moyens d’aborder les problèmes en face.
La prise de conscience de cette réalité n’est pas nouvelle ; le pastoralisme et l’élevage ont été posés comme des priorités d’action et de développement dès la préparation en 2011 puis le vote en 2014/2015 du PADDUC. Pourtant, les arguments avancés en faveur de cette priorité sur les importantes potentialités qu’aurait l’élevage en Corse se référaient surtout à des savoir-faire traditionnels souvent fantasmés et basés sur des affirmations peu documentées. Ils reprenaient aussi sans recul les représentations de la société civile et de professionnels [1].
Sa mise en œuvre n’a finalement donné lieu qu’à peu de mesures opérationnelles et le déclin de l’activité s’est poursuivi. La mesure principale a été la sanctuarisation de près de 100 000 ha d’Espaces Stratégiques Agricoles sur lesquels des conflits se sont cristallisés, à l’origine de discussions juridiques et de divergences politiques importantes. La future refonte du PADDUC qui doit être discutée en 2026 appelle évidemment à une introspection collective sur la vision que doit porter une politique publique en la matière.
Et les politiques doivent veiller à ne pas activer des conflits qui pourraient déstabiliser la cohésion interne de la société ou fragiliser les négociations souvent difficiles avec l’Etat central ou la Commission européenne pour faire évoluer le statut de l’île. Paradoxalement, en affirmant de manière excessive leur différence, les îles comme la Corse peuvent aggraver leurs fragilités en ne se donnant pas les moyens d’aborder les problèmes en face.
La prise de conscience de cette réalité n’est pas nouvelle ; le pastoralisme et l’élevage ont été posés comme des priorités d’action et de développement dès la préparation en 2011 puis le vote en 2014/2015 du PADDUC. Pourtant, les arguments avancés en faveur de cette priorité sur les importantes potentialités qu’aurait l’élevage en Corse se référaient surtout à des savoir-faire traditionnels souvent fantasmés et basés sur des affirmations peu documentées. Ils reprenaient aussi sans recul les représentations de la société civile et de professionnels [1].
Sa mise en œuvre n’a finalement donné lieu qu’à peu de mesures opérationnelles et le déclin de l’activité s’est poursuivi. La mesure principale a été la sanctuarisation de près de 100 000 ha d’Espaces Stratégiques Agricoles sur lesquels des conflits se sont cristallisés, à l’origine de discussions juridiques et de divergences politiques importantes. La future refonte du PADDUC qui doit être discutée en 2026 appelle évidemment à une introspection collective sur la vision que doit porter une politique publique en la matière.
[1] Jean-Paul Dubeuf, Jean-Michel Sorba, 2018. Les politiques publiques en faveur du pastoralisme en Corse : objectifs, représentations, mise en œuvre opérationnelle et visions de l’avenir. Annales Méditerranéennes d'Economie, 2018, 5 ⟨hal-02618208⟩
Une tradition pastorale à renouveler, des pratiques à réinventer

François Corbellini in La Corse touristique, 1930
La référence à la tradition est en permanence présente dans le discours et dans les revendications pour réclamer un soutien plus fort en faveur de l’élevage. On met toujours en avant des « savoir-faire et des pratiques locales » qui seraient en train de se perdre. Or s’il faut collecter ces pratiques traditionnelles de peur qu’elles ne se perdent, c’est bien qu’elles se sont figées et n’ont pas su s’adapter dans un environnement en perpétuel renouvellement.
Comme le rappelle Mannaïg Thomas [1], le mot tradition largement mis en avant à la fin du XIXe siècle a été souvent opposé de manière binaire à la modernité. En Corse, il a été mobilisé comme un miroir inversé de la réalité insulaire, traditionnelle et pure à celle d’un continent moderne, intensif qu’il faudrait rattraper tout en conservant d’ailleurs ses propres fondamentaux ; tradition qui permet aussi de se relier à l’espace méditerranéen, réputé espace d’échange qui rééquilibrerait la dépendance au continent. Or la tradition, c’est l’ensemble des connaissances qui sont transmises de génération en génération. Pas de transmission, pas de tradition. Pas d’adaptation, d’innovation, pas de perpétuation de la tradition !
D’autre part, comme le souligne Eric Hobsbawm [2], de nombreuses traditions qui se prétendent anciennes n’ont été forgées que récemment pour acquérir une certaine légitimité voire pour instrumentaliser tel ou tel projet politique. Ainsi, l’élevage bovin tel qu’il se pratique aujourd’hui (des troupeaux très extensifs peu surveillés et peu productifs sur des surfaces bénéficiant des DPB ou des élevages très structurés orientés vers la production de viande de qualité à la découpe) n’a plus beaucoup de points communs avec les quelques vaches qu’avaient les bergers traditionnels du passé pour le travail de la terre ou leur consommation personnelle.
Il en est de même pour la taille des troupeaux de brebis ou de chèvre, avec en plus l’achat de foin et de concentrés. L’élevage porcin s’est aussi fortement spécialisé avec le plus souvent, l’abandon des pratiques d’entretien des chênaies au profit de la distribution de gland et surtout de céréales. Les systèmes de polyculture - élevage pastoral dominant ont disparu et c’est sur ces système que s’adossaient les savoir-faire traditionnels.
Le pastoralisme et l’élevage aujourd’hui en Corse comme partout et en particulier en Méditerranée est confronté à un manque d’attractivité. Il n’attire plus les jeunes et on assiste à une véritable rupture générationnelle. Comme pour les autres activités agricoles, il faut mettre en avant localement des formes d’activités d’élevage bien insérées et acceptées dans leurs territoires sans renier leurs valeurs traditionnelles.
Les territoires ont vocation à développer des activités qui répondent aux enjeux d’aujourd’hui. Pour s’adapter au changement climatique, il faudra à la fois s’inspirer des connaissances existantes sur les pratiques de résistance à la chaleur et à la sècheresse mais aussi imaginer de nouvelles formes de conduite, respectueuses de l’environnement et de l’agroécologie, moins dépendante de l’extérieur. Pour cela, il faut évidemment définir localement des objectifs précis et des perspectives.
Cette nécessité implique un véritable changement de paradigme, une représentation d’un monde complexe dans lequel chaque acteur serait conscient de ses atouts mais aussi de ses limites et de ses responsabilités. Trop d’acteurs locaux en Corse pensent ou font semblant de penser que le monde tourne autour de la Corse [3]. Pour remettre en mouvement l’élevage, seule une telle prise de conscience par les responsables professionnels comme par les décideurs politiques est susceptible de recréer une vraie dynamique positive.
Comme le rappelle Mannaïg Thomas [1], le mot tradition largement mis en avant à la fin du XIXe siècle a été souvent opposé de manière binaire à la modernité. En Corse, il a été mobilisé comme un miroir inversé de la réalité insulaire, traditionnelle et pure à celle d’un continent moderne, intensif qu’il faudrait rattraper tout en conservant d’ailleurs ses propres fondamentaux ; tradition qui permet aussi de se relier à l’espace méditerranéen, réputé espace d’échange qui rééquilibrerait la dépendance au continent. Or la tradition, c’est l’ensemble des connaissances qui sont transmises de génération en génération. Pas de transmission, pas de tradition. Pas d’adaptation, d’innovation, pas de perpétuation de la tradition !
D’autre part, comme le souligne Eric Hobsbawm [2], de nombreuses traditions qui se prétendent anciennes n’ont été forgées que récemment pour acquérir une certaine légitimité voire pour instrumentaliser tel ou tel projet politique. Ainsi, l’élevage bovin tel qu’il se pratique aujourd’hui (des troupeaux très extensifs peu surveillés et peu productifs sur des surfaces bénéficiant des DPB ou des élevages très structurés orientés vers la production de viande de qualité à la découpe) n’a plus beaucoup de points communs avec les quelques vaches qu’avaient les bergers traditionnels du passé pour le travail de la terre ou leur consommation personnelle.
Il en est de même pour la taille des troupeaux de brebis ou de chèvre, avec en plus l’achat de foin et de concentrés. L’élevage porcin s’est aussi fortement spécialisé avec le plus souvent, l’abandon des pratiques d’entretien des chênaies au profit de la distribution de gland et surtout de céréales. Les systèmes de polyculture - élevage pastoral dominant ont disparu et c’est sur ces système que s’adossaient les savoir-faire traditionnels.
Le pastoralisme et l’élevage aujourd’hui en Corse comme partout et en particulier en Méditerranée est confronté à un manque d’attractivité. Il n’attire plus les jeunes et on assiste à une véritable rupture générationnelle. Comme pour les autres activités agricoles, il faut mettre en avant localement des formes d’activités d’élevage bien insérées et acceptées dans leurs territoires sans renier leurs valeurs traditionnelles.
Les territoires ont vocation à développer des activités qui répondent aux enjeux d’aujourd’hui. Pour s’adapter au changement climatique, il faudra à la fois s’inspirer des connaissances existantes sur les pratiques de résistance à la chaleur et à la sècheresse mais aussi imaginer de nouvelles formes de conduite, respectueuses de l’environnement et de l’agroécologie, moins dépendante de l’extérieur. Pour cela, il faut évidemment définir localement des objectifs précis et des perspectives.
Cette nécessité implique un véritable changement de paradigme, une représentation d’un monde complexe dans lequel chaque acteur serait conscient de ses atouts mais aussi de ses limites et de ses responsabilités. Trop d’acteurs locaux en Corse pensent ou font semblant de penser que le monde tourne autour de la Corse [3]. Pour remettre en mouvement l’élevage, seule une telle prise de conscience par les responsables professionnels comme par les décideurs politiques est susceptible de recréer une vraie dynamique positive.
[1] Mannaïg Thomas, Laurent Le Gall, Tradition. 2024, 112 pages.
[2] E. Hobsbawm, T. Ranger, 1983. L'invention de la tradition, Christine Vivier, trad. 2006.
[2] E. Hobsbawm, T. Ranger, 1983. L'invention de la tradition, Christine Vivier, trad. 2006.
[3] Comme le rappellent avec humour, Laurina Marchi et Jean-François Bernardini, dans « Zeru vergogna », La Marge, Ajaccio. Mars 2025.
Repenser l’action publique en faveur de l’élevage et du pastoralisme
Chaque année, c’est plus de 50 millions d’euros qui sont mobilisés annuellement en faveur du secteur de l’élevage en Corse [1]. Un engagement financier supérieur au chiffre d’affaires du secteur qui n’a pas empêché le recul de l’activité. Redonner un nouvel élan à l’élevage est tout sauf une sinécure et on observe un découragement partagé par les organisations professionnelles, les administrations, les éleveurs eux-mêmes.
L’impression générale est qu’il faut une nouvelle vision politique avec des objectifs plus clairs et plus précis et des démarches plus professionnelles. Des avancées ont déjà été réalisées dans ce sens mais l’approche développée par l'INRAE, l’ODARC et la Chambre d’agriculture identifie plusieurs priorités stratégiques pour lesquelles des mesures plus opérationnelles doivent être prises en matière de formation et d’accompagnement des futurs éleveurs, de déblocage foncier, de renforcement et l’appui aux projets de territoires en positionnant plus explicitement le pastoralisme.
Rien de bien nouveau, diront certains, cela fait des décennies qu’on cite ces priorités qu’on retrouve d’ailleurs dans tout le bassin méditerranéen [2]. On élabore des plans de relance, on mobilise des moyens importants mais leur impact reste faible. Dans ces conditions, quelles démarches, quelles orientations proposer qui s’inscriraient dans ce nouveau paradigme? Une conviction de plus en plus partagée est que le courage politique en la matière serait de renforcer d’abord les moyens d’ingénierie pour soutenir et accompagner les projets individuels, collectifs et au niveau des territoires en partant d’une évaluation contradictoire et argumentée de leur pertinence :
Au niveau de la formation, il s’agirait par exemple, d’explorer le concept d’école pastorale pour former et accompagner les candidats à l’installation, avec différents modules tests, puis les accompagner plus systématiquement au cours des premières années de leur parcours professionnel en donnant plus de place à l’innovation (complémentarité entre agriculture, élevage, diversification, innovations commerciales…). Les compétences pédagogiques et techniques existent, reste à les mobiliser, les insérer dans des groupes de projet au-delà de leurs propres organismes d’appartenance. Cela peut passer également par des actions de sensibilisation aux métiers de l’élevage auprès des établissements d’enseignement général afin de susciter des vocations.
Le déblocage foncier nécessite aussi une volonté politique encore plus affirmée mais la complexité des enjeux et des conflits particuliers que la question entraîne, ne peut être traitée à la seule échelle régionale. Les dispositifs règlementaires et institutionnels existent tous au moins sur le papier mais sont peu mobilisés à l’exception de celui des associations foncières pastorales. Multiplier les instances de concertation, en particulier avec les différentes intercommunalités, permettrait une meilleure approche de la question.
Cette approche coconstruite à l’échelle des territoires impliquera ainsi de disposer des instances d’animation avec les moyens d’accompagnement qu’elles nécessiteront sur la base des dispositions juridiques existantes qu’il s’agit aujourd’hui d’activer courageusement. Seule, l’échelle des territoires, accompagnée par une animation renforcée permettra d’envisager un usage plus cohérent du foncier agricole.
Territorialiser de manière plus systématique le soutien à l’élevage et au pastoralisme, c’est identifier plus précisément la place de l’élevage, le rôle et les objectifs que chaque territoire lui assigne dans un projet territorial plus vaste. La vision de l’élevage dans chaque territoire va s’appuyer sur le projet territorial mais va aussi contribuer à son développement par des politiques sociales, aménagistes, développementistes, plus globales.
L’expérience acquise dans les plans alimentaires territoriaux en est un bon exemple. Territorialiser signifie trois choses : (i) reconnaitre et rendre incontournables les spécificités de chaque contexte agricole, (ii) ancrer la stratégie d’élevage et de pastoralisme dans l’ensemble du système des acteurs locaux, (iii) construire des intérêts réciproques entre l’agriculture, l’élevage et le pastoralisme d’une part, le territoire dans toutes ses activités, ses fonctionnalités, ses nécessités, ses composantes, d’autre part, de sorte que le système agro-pastoral et le territoire rétablissent leurs solidarités organiques.
À partir de ce corpus d’actions opérationnelles, l’action publique en Corse serait en mesure de mettre en avant et de généraliser les bonnes idées non pas en s’appuyant sur des modèles et des références extérieures mais sur les expériences et les initiatives déjà nombreuses et sans opposer artificiellement un mode d’élevage pastoral à un autre qui ne le serait pas.
En conclusion et pour paraphraser la formule célèbre de Giuseppe Tomasi de Lampedusa dans Le Guépard, il est indispensable de changer radicalement les formes d’intervention en faveur de l’élevage corse si on veut conserver ses spécificités, lui redonner une dynamique et préserver son enracinement profond dans la culture corse.
L’impression générale est qu’il faut une nouvelle vision politique avec des objectifs plus clairs et plus précis et des démarches plus professionnelles. Des avancées ont déjà été réalisées dans ce sens mais l’approche développée par l'INRAE, l’ODARC et la Chambre d’agriculture identifie plusieurs priorités stratégiques pour lesquelles des mesures plus opérationnelles doivent être prises en matière de formation et d’accompagnement des futurs éleveurs, de déblocage foncier, de renforcement et l’appui aux projets de territoires en positionnant plus explicitement le pastoralisme.
Rien de bien nouveau, diront certains, cela fait des décennies qu’on cite ces priorités qu’on retrouve d’ailleurs dans tout le bassin méditerranéen [2]. On élabore des plans de relance, on mobilise des moyens importants mais leur impact reste faible. Dans ces conditions, quelles démarches, quelles orientations proposer qui s’inscriraient dans ce nouveau paradigme? Une conviction de plus en plus partagée est que le courage politique en la matière serait de renforcer d’abord les moyens d’ingénierie pour soutenir et accompagner les projets individuels, collectifs et au niveau des territoires en partant d’une évaluation contradictoire et argumentée de leur pertinence :
Au niveau de la formation, il s’agirait par exemple, d’explorer le concept d’école pastorale pour former et accompagner les candidats à l’installation, avec différents modules tests, puis les accompagner plus systématiquement au cours des premières années de leur parcours professionnel en donnant plus de place à l’innovation (complémentarité entre agriculture, élevage, diversification, innovations commerciales…). Les compétences pédagogiques et techniques existent, reste à les mobiliser, les insérer dans des groupes de projet au-delà de leurs propres organismes d’appartenance. Cela peut passer également par des actions de sensibilisation aux métiers de l’élevage auprès des établissements d’enseignement général afin de susciter des vocations.
Le déblocage foncier nécessite aussi une volonté politique encore plus affirmée mais la complexité des enjeux et des conflits particuliers que la question entraîne, ne peut être traitée à la seule échelle régionale. Les dispositifs règlementaires et institutionnels existent tous au moins sur le papier mais sont peu mobilisés à l’exception de celui des associations foncières pastorales. Multiplier les instances de concertation, en particulier avec les différentes intercommunalités, permettrait une meilleure approche de la question.
Cette approche coconstruite à l’échelle des territoires impliquera ainsi de disposer des instances d’animation avec les moyens d’accompagnement qu’elles nécessiteront sur la base des dispositions juridiques existantes qu’il s’agit aujourd’hui d’activer courageusement. Seule, l’échelle des territoires, accompagnée par une animation renforcée permettra d’envisager un usage plus cohérent du foncier agricole.
Territorialiser de manière plus systématique le soutien à l’élevage et au pastoralisme, c’est identifier plus précisément la place de l’élevage, le rôle et les objectifs que chaque territoire lui assigne dans un projet territorial plus vaste. La vision de l’élevage dans chaque territoire va s’appuyer sur le projet territorial mais va aussi contribuer à son développement par des politiques sociales, aménagistes, développementistes, plus globales.
L’expérience acquise dans les plans alimentaires territoriaux en est un bon exemple. Territorialiser signifie trois choses : (i) reconnaitre et rendre incontournables les spécificités de chaque contexte agricole, (ii) ancrer la stratégie d’élevage et de pastoralisme dans l’ensemble du système des acteurs locaux, (iii) construire des intérêts réciproques entre l’agriculture, l’élevage et le pastoralisme d’une part, le territoire dans toutes ses activités, ses fonctionnalités, ses nécessités, ses composantes, d’autre part, de sorte que le système agro-pastoral et le territoire rétablissent leurs solidarités organiques.
À partir de ce corpus d’actions opérationnelles, l’action publique en Corse serait en mesure de mettre en avant et de généraliser les bonnes idées non pas en s’appuyant sur des modèles et des références extérieures mais sur les expériences et les initiatives déjà nombreuses et sans opposer artificiellement un mode d’élevage pastoral à un autre qui ne le serait pas.
En conclusion et pour paraphraser la formule célèbre de Giuseppe Tomasi de Lampedusa dans Le Guépard, il est indispensable de changer radicalement les formes d’intervention en faveur de l’élevage corse si on veut conserver ses spécificités, lui redonner une dynamique et préserver son enracinement profond dans la culture corse.
[1] Aides au revenu + ICHN+DPB (chiffres DRAAF, 2020) auxquels il faut ajouter les aides aux structures d’appui et autres projets.
[2] Voir les travaux du projet PASTINNOVA (pastinnova.eu.eu ).
Pour prolonger
Retrouver le précédent article de Jean-Paul Dubeuf
https://www.rivistarobba.com/Quel-avenir-pour-l-elevage-en-Corse_a407.html
https://www.rivistarobba.com/Quel-avenir-pour-l-elevage-en-Corse_a407.html