
Photo @Marc-Sauveur Costa
« On croyait que l'alcyon faisait son nid sur les flots de la mer, et qu'il couvait ses œufs pendant sept jours, nommés jours alcyoniens, après le solstice d'hiver, période de calme continu que Zeus lui avait accordée, apitoyé devant ses nids sans cesse détruits par le vent et les vagues. »
Je bois mon café au salon chez ma mère. Le bruit du ventilateur — qui aurait bien besoin d’un coup de WD40 — me tabasse la tronche, mais l’air tiède qu’il me renvoie est plus acceptable que son insupportable grincement... Parfois, les dilemmes, ça prend cette forme-là, surtout par 40° à l’extérieur...
Mon téléphone bip, ting.
Enfin, il émet ce son significatif que font nos téléphones quand on reçoit un message, une notification ou je ne sais quoi d’autre qui vous sort instantanément des rêves et de la torpeur, ce son, imaginé par un ingénieur de la Silicon Valley qui doit très certainement détester l’introspection.
Mon téléphone bip, ting.
Enfin, il émet ce son significatif que font nos téléphones quand on reçoit un message, une notification ou je ne sais quoi d’autre qui vous sort instantanément des rêves et de la torpeur, ce son, imaginé par un ingénieur de la Silicon Valley qui doit très certainement détester l’introspection.
C’est ma compagne qui m’envoie une capture d’écran d’une conversation avec une amie, où elles ont l’air de discuter de la difficulté à sauver des oiseaux et du caractère très aléatoire de leur survie après sauvetage… Je me plonge donc dans cette capture, où son amie évoque un repas récent dans un restaurant. Elle y explique que le restaurateur chez qui elle a dîné a délogé d’un parasol un nid avec deux oisillons… parce que, je cite : « Ils chient sur la table. »
L’un des oisillons finira fracassé, l’autre sera déposé dans un carton avec un semblant de nourriture…
Quand on sait que l’on fait quelque chose de mal, il vaut mieux se la prier bonne. Et concernant la condition animale y a souvent un carton qu’on abandonne...
On n’est pas encore complètement dans le déni... Y a au moins encore de la dissonance cognitive. Tout n’est peut-être pas perdu…
Il aurait été peut-être plus poétique, plus chaleureux, plus doux, presque plus folklorique de condamner la table pour cause de nid... quitte à en faire un peu des caisses, comme on sait parfois si bien le faire chez nous. On aurait pu y apposer un petit mot bien senti : « Cette table est réservée à un couple de pigeons et leurs enfants… » Mais non, il n’en est rien… Il y avait là visiblement un profit non négligeable, qui dépassait la vie… et je crois que ça ressemble un peu à la guerre.
L’un des oisillons finira fracassé, l’autre sera déposé dans un carton avec un semblant de nourriture…
Quand on sait que l’on fait quelque chose de mal, il vaut mieux se la prier bonne. Et concernant la condition animale y a souvent un carton qu’on abandonne...
On n’est pas encore complètement dans le déni... Y a au moins encore de la dissonance cognitive. Tout n’est peut-être pas perdu…
Il aurait été peut-être plus poétique, plus chaleureux, plus doux, presque plus folklorique de condamner la table pour cause de nid... quitte à en faire un peu des caisses, comme on sait parfois si bien le faire chez nous. On aurait pu y apposer un petit mot bien senti : « Cette table est réservée à un couple de pigeons et leurs enfants… » Mais non, il n’en est rien… Il y avait là visiblement un profit non négligeable, qui dépassait la vie… et je crois que ça ressemble un peu à la guerre.
Je travaille pour une société de handling aéroportuaire, et comme sur beaucoup d’aéroports, malgré ce qu’on pourrait croire, il y a de la vie. Pas uniquement une vie de transit « humain » on finira sur ce thème... mais une biodiversité étonnamment riche.
On y croise des lièvres, des lapins, des couleuvres, toutes sortes d’insectes et justement beaucoup d’oiseaux… Pour la population aviaire, la cohabitation avec l’aérien, c’est un sujet. Sujet avec un grand S... Mais je préfère épargner les sujets de sécurité — c’est pas vraiment ce qui nous intéresse ici.
Je préfère plutôt parler de B et de ceux avec qui je trime.
B, c’est le mécano de la boîte pour laquelle je bosse. B aime les oiseaux. Il avait même recueilli un jeune moineau chez lui, et il avait pris grand soin de le nourrir à la pipette, et lui avait accordé toute l’attention dont il avait besoin pour le rendre à sa vie quelques semaines plus tard. Toujours fier de me raconter cette histoire, parce qu’il sait que prendre soin d’un oisillon n’est pas chose aisée — et l’amener jusqu’à son premier envol encore moins.
Tous les ans, à la même période, un couple de gobe-mouches fait son nid en hauteur, sur un petit boîtier électrique sous la terrasse, juste en face du tarmac. On observe toujours, un peu amusés, les allers-retours incessants des parents, leur traque implacable d’insectes pour nourrir leurs deux ou trois petits.
On y croise des lièvres, des lapins, des couleuvres, toutes sortes d’insectes et justement beaucoup d’oiseaux… Pour la population aviaire, la cohabitation avec l’aérien, c’est un sujet. Sujet avec un grand S... Mais je préfère épargner les sujets de sécurité — c’est pas vraiment ce qui nous intéresse ici.
Je préfère plutôt parler de B et de ceux avec qui je trime.
B, c’est le mécano de la boîte pour laquelle je bosse. B aime les oiseaux. Il avait même recueilli un jeune moineau chez lui, et il avait pris grand soin de le nourrir à la pipette, et lui avait accordé toute l’attention dont il avait besoin pour le rendre à sa vie quelques semaines plus tard. Toujours fier de me raconter cette histoire, parce qu’il sait que prendre soin d’un oisillon n’est pas chose aisée — et l’amener jusqu’à son premier envol encore moins.
Tous les ans, à la même période, un couple de gobe-mouches fait son nid en hauteur, sur un petit boîtier électrique sous la terrasse, juste en face du tarmac. On observe toujours, un peu amusés, les allers-retours incessants des parents, leur traque implacable d’insectes pour nourrir leurs deux ou trois petits.
Les jours de trafic important, il nous arrive d’être assis sur la rambarde, juste sous le boîtier, pour patienter à l’ombre... et y a toujours quelqu’un pour dire :
– « Hey les gars, barrez-vous de là, le piaf n’ose pas rejoindre le nid. » Sur ces mots, tout le monde s’exécute pour laisser place au ballet. Ça me fait toujours sourire quand ça arrive. Je trouve ça beau que des mecs qui en chient sous 50 degrés, sous le vacarme des moteurs, le poids des bagages et les flux terribles des passagers, laissent leur place à ce petit oiseau.
B, lui, ça fait quelques jours qu’il scrute le nid que des tourterelles ont eu la mauvaise idée de construire sous une partie sensible d’un loader. Un couple juste avant eux, avait été plus malin et efficace. La couvée est arrivée à terme et les deux oisillons ont fini par prendre leur envol. Mais là, c’était pas la même chose. C’est précaire, instable, franchement mal branlé, mais pour le moment, ça tient bon.
B veillait comme il pouvait au grain. Il avait la ferme intention de faire son possible, comme à chaque fois… comme à chaque fois. « le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé qu'une femme a pris et semé dans son champ. C'est la plus petite de toutes les semences ; mais, quand il a poussé, il est plus grand que les légumes et devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent habiter dans ses branches. »
– « Hey les gars, barrez-vous de là, le piaf n’ose pas rejoindre le nid. » Sur ces mots, tout le monde s’exécute pour laisser place au ballet. Ça me fait toujours sourire quand ça arrive. Je trouve ça beau que des mecs qui en chient sous 50 degrés, sous le vacarme des moteurs, le poids des bagages et les flux terribles des passagers, laissent leur place à ce petit oiseau.
B, lui, ça fait quelques jours qu’il scrute le nid que des tourterelles ont eu la mauvaise idée de construire sous une partie sensible d’un loader. Un couple juste avant eux, avait été plus malin et efficace. La couvée est arrivée à terme et les deux oisillons ont fini par prendre leur envol. Mais là, c’était pas la même chose. C’est précaire, instable, franchement mal branlé, mais pour le moment, ça tient bon.
B veillait comme il pouvait au grain. Il avait la ferme intention de faire son possible, comme à chaque fois… comme à chaque fois. « le royaume des cieux est semblable à un grain de sénevé qu'une femme a pris et semé dans son champ. C'est la plus petite de toutes les semences ; mais, quand il a poussé, il est plus grand que les légumes et devient un arbre, de sorte que les oiseaux du ciel viennent habiter dans ses branches. »
Il y a 2000 ans, un homme et une femme nous ont offert leur doctrine, leur philosophie, leur sagesse. Ils avaient pour nous une compassion et un amour infinis, et un projet un peu fou : faire advenir le Royaume sur Terre. Par cet acte, mettre un arrêt définitif à notre fascination pour les sacrifices, les idoles et les dieux… C’était vraiment mettre la barre haute.
Peut-être que nous sommes restés comme ces dieux de l’Olympe : irascibles, envieux, belliqueux, colériques et jaloux. Mais que, dans un moment de faiblesse, attendris par nos gesticulations vaines, comme Zeus pour Alcyon, nous nous accordons quelques jours de répit, une trêve, ou encore un vieux carton avec quelques bouts de jambons, comme abris de fortune. Peut-être que collectivement, en acceptant d’être là, pour, comme on dit, « de quoi vivre », en acceptant cette dissonance, cette mise à distance qui parfois me hante — de participer à cette mascarade du tourisme de masse et à l’augmentation de l’effet de serre — le fait de voir ces oiseaux finir par s’envoler, c’était comme pour… s’excuser un peu. Et se pardonner surtout, de tout le mal que l’on fait.
Peut-être que nous sommes restés comme ces dieux de l’Olympe : irascibles, envieux, belliqueux, colériques et jaloux. Mais que, dans un moment de faiblesse, attendris par nos gesticulations vaines, comme Zeus pour Alcyon, nous nous accordons quelques jours de répit, une trêve, ou encore un vieux carton avec quelques bouts de jambons, comme abris de fortune. Peut-être que collectivement, en acceptant d’être là, pour, comme on dit, « de quoi vivre », en acceptant cette dissonance, cette mise à distance qui parfois me hante — de participer à cette mascarade du tourisme de masse et à l’augmentation de l’effet de serre — le fait de voir ces oiseaux finir par s’envoler, c’était comme pour… s’excuser un peu. Et se pardonner surtout, de tout le mal que l’on fait.
Messages
– Tu vois, B est ouvrier. Il travaille pour une des industries les plus polluantes au monde, et il met toujours tout en œuvre pour sauver un oiseau. Et ce mec qui accueille des gens à sa table grâce à cette même industrie, avec laquelle il va gagner sa vie, ça lui coûterait quoi de sacrifier une pauvre table pour des vies si fragiles…
– Oui…
– Tu vois, parfois, je voudrais que ce monde brûle… puis, au détour d’un rien… l’espoir.
– Moi aussi…
– C’est peut-être ça, la vie des humains : une lutte infinie de la lumière contre l’obscurité...
– Une lutte infinie entre la merde et les fleurs.
– Ouais… mais, les Dieux ! merci pour nous ! il paraît que la merde, ça fertilise.
– Tu vois, B est ouvrier. Il travaille pour une des industries les plus polluantes au monde, et il met toujours tout en œuvre pour sauver un oiseau. Et ce mec qui accueille des gens à sa table grâce à cette même industrie, avec laquelle il va gagner sa vie, ça lui coûterait quoi de sacrifier une pauvre table pour des vies si fragiles…
– Oui…
– Tu vois, parfois, je voudrais que ce monde brûle… puis, au détour d’un rien… l’espoir.
– Moi aussi…
– C’est peut-être ça, la vie des humains : une lutte infinie de la lumière contre l’obscurité...
– Une lutte infinie entre la merde et les fleurs.
– Ouais… mais, les Dieux ! merci pour nous ! il paraît que la merde, ça fertilise.