Robba
 



Des principes de la République au Séparatisme

Parce que la parole politique reste une dimension forte de la démocratie, l'analyse des discours est un exercice indispensable. Sampiero Sanguinetti, journaliste et auteur nous livre ici les réflexions et réserves que lui inspirent certains propos d' Emmanuel Macron. Précisément lorsque, dans le corps d’un des discours prononcés au nom de la crise sanitaire, le Président de la République a lâché devant les Français le mot de « séparatisme » pour définir ce qu’il exècre et ce contre quoi il entend mobiliser l’Etat.



composizione, Robba 2021
composizione, Robba 2021
Le 14 juin 2020, Emmanuel Macron s’exprimait pour la quatrième fois en quatre mois, à 20 heures, devant les Français. Il leur expliquait que même s’il fallait rester prudents, le combat contre la pandémie de Covid 19, franchissait des étapes encourageantes. Le confinement pouvait être levé et le second tour des élections municipales pourrait se tenir le 26 juin. Traçant dans la foulée des perspectives pour l’avenir, le président affirmait qu’il allait falloir désormais nous attacher à la « reconstruction de notre économie » et à notre « indépendance »… Il y ajoutait la nécessité de « s’unir autour du patriotisme républicain » : « Nous sommes une Nation où chacun, quelles que soient ses origines, sa religion doit trouver sa place… Nous serons intraitables face au racisme, à l’antisémitisme et aux discriminations et de nouvelles décisions fortes seront prises. Mais ce combat noble est dévoyé lorsqu’il se transforme en communautarisme, en réécriture haineuse ou fausse du passé. Ce combat est inacceptable lorsqu’il est récupéré par les séparatistes ».  

Séparatisme

La référence au « séparatisme » dans ce discours et à ce moment là était surprenante. Combien de Français ont-ils compris ce à quoi faisait référence leur Président ? Et combien de Français, à ce moment-là, ont-ils simplement remarqué l’emploi de ce mot ? Il existe pourtant deux « territoires » où cette référence ne pouvait pas passer totalement inaperçue. Ces deux territoires, ce sont la Corse et la Nouvelle-Calédonie.
Lorsqu’on parle de séparatisme en France depuis la fin du XXème siècle, c’est vers ces deux territoires que se tournent généralement les regards. Les deux territoires où non seulement existent des mouvements qui revendiquent l’indépendance, mais où des citoyens ont même choisi d’élire, soit dans les assemblées régionales soit au parlement, soit à la tête de communes, des représentants issus de ces mouvances nationalo-autonomo-indépendantistes. Des « séparatistes » disent les souverainistes lorsqu’ils veulent les stigmatiser.
Nul ne pouvait sérieusement imaginer que dans un discours de portée générale sur la nécessité de dépasser la terrible crise sanitaire dans laquelle le monde entier était englué, on fit tenir à la Corse et à la Nouvelle-Calédonie un rôle quelconque. Un petit mystère existait donc au sujet de ce mot, mais personne ne s’en préoccupait encore vraiment, même si la communication gouvernementale, par la suite, paraissait vouloir installer ce mot dans les esprits en lui adjoignant l’idée de « respect des principes de la République ». Officiellement et jusqu’à nouvel ordre ce que le Président visait à travers ces mots, ce sont les islamistes radicaux.
 Après les attentats de Mohammed Merah à Toulouse, les tueries perpétrées au journal Charlie Hebdo puis à l’Hyper Cacher de la Porte de Vincennes, après le massacre du Bataclan, le double meurtre d’un commandant de police et de sa compagne à Magnanville, les morts sur la Promenade des Anglais à Nice, l’assassinat du père Hamel dans l’église de Saint Etienne du Rouvray près de Rouen, l’assassinat de deux jeunes femmes à la gare Saint Charles de Marseille, la mort du colonel Beltrame dans l’Aube, l’attentat de la préfecture de police de Paris, l’assassinat du professeur Samuel Paty à Conflans-Sainte-Honorine, l’assassinat de trois personnes dans la basilique Notre Dame de l’Assomption à Nice... donner une importance particulière à la lutte contre le terrorisme et contre le danger des radicalismes religieux est absolument évident et naturel. Mais cela n’explique pas pourquoi utiliser avec une telle insistance ce mot de « séparatisme » ? Aucune partie du territoire ne demande à se séparer dans le sillage des islamistes. Quant aux idées indépendantistes dans des régions comme la Corse ou la Nouvelle-Calédonie, elles sont, bien sûr, combattues par l’Etat, mais leur expression dans une démocratie n’est pas, jusque là, interdite. Cette expression pourrait-elle le devenir ou être sérieusement limitée ? Les uns s’en réjouiraient naturellement, les autres y verraient un nouveau casus belli.
 
C’est trois mois plus tard, le 2 octobre 2020, aux Mureaux, que le Président de la République décidait d’expliquer le choix de ce mot. Il amorçait une explication : « Il y a dans cet islamisme radical, puisque c’est le cœur du sujet abordons le et nommons-le, une volonté revendiquée, affichée, une organisation méthodique pour contrevenir aux lois de la République et créer un ordre parallèle, ériger d’autres valeurs, développer une autre organisation de la société, séparatiste dans un premier temps, mais dont le but final est de prendre le contrôle, complet celui-ci ».
« Eriger d’autres valeurs, développer une autre organisation de la société », cela peut être effectivement l’objectif d’un programme politique. Les programmes politiques et les débats d’idées ne sont pas interdits. « S’organiser pour contrevenir aux lois de la République » c’est la définition même de la grande délinquance, de la grande criminalité, de la criminalité organisée. Remarquons à ce sujet que la plus grande entreprise, la plus juteuse entreprise de détournement des lois de la République c’est l’évasion fiscale. Des milliards d’Euros planqués chaque année dans des paradis fiscaux à travers le monde. C’est mieux que tous les hold-up perpétrés par des voyous de bas étage. Nul n’a jamais envisagé, pourtant jusque là, de faire à ces fraudeurs un procès en « séparatisme ».
Reste « l’islamisme radical » qui s’illustre depuis quelques années par le recours à la pire des violences. Il ne fait pas de doute que le rôle de tout dirigeant politique d’un pays est de faire échec à cette entreprise destructrice et à ses méthodes. Le Président de la République la qualifie de « séparatiste » parce que son but final, dit-il, serait de prendre le contrôle complet du pays. Les islamistes ne veulent pas séparer une partie du pays de son tout, ils veulent, si l’on comprend bien le discours, séparer le pays tout entier de ses principes et de ses valeurs. Ces islamistes ourdiraient ainsi un vaste complot destiné à saper les fondements de notre démocratie et de notre République et à se rendre maîtres du pays. Une version vaguement plus sophistiquée de la thèse du « grand remplacement » qui préoccupe tant les militants d’extrême droite.
Le Président déroule dans la suite de son discours l’arsenal de mesures et d’actions qu’il entend mettre en place pour lutter contre cet islamisme « radical-séparatiste ».

Confusion

Or l’instrumentalisation des mots à sens multiples éveille la méfiance. Une sorte de malaise gagne les universitaires, les représentants de grandes religions, et certains milieux (en Corse par exemple). Ce qui est censé limiter les marges de manœuvre de l’islamisme radical ne peut pas se borner à cibler une religion unique. « Dieu merci » nous n’en sommes pas encore revenus à cela en France. Les autres religions ont donc perçu ce qu’elles estiment être une menace pour tout le monde : « Une police de la pensée s’installe de plus en plus dans l’espace commun »… « Ce projet de loi risque de porter atteinte aux libertés fondamentales que sont la liberté de culte, d’association, d’enseignement et même à la liberté d’opinion » ont déclaré les représentants des églises protestantes, catholique et orthodoxes. Et ce qui est destiné à juguler des atteintes aux « principes de la République », qualifiées de « séparatistes », ne peut pas concerner un seul type de séparatisme. Ce combat exacerbé de la République s’adressera nécessairement à toutes les formes de « séparatisme » : « On assiste à un renforcement des pouvoirs de tutelle de l’Etat » s’est inquiété le Président de l’Assemblée de Corse, le nationaliste Jean-Guy Talamoni.
Le problème se pose déjà, depuis 2015, au sujet de la qualification du « terrorisme ». En réaction aux attentats « djihadistes » le Parlement a créé un fichier judiciaire national automatisé des actes d’infractions terroristes (Fijait). Le but était de mettre sous surveillance permanente les « islamistes radicaux », même après leur sortie de prison. Les procédures liées à ce fichier, très contraignantes, furent immédiatement applicables aux anciens prisonniers corses dans des affaires qualifiées de « terroristes ». Le débat depuis lors n’en finit plus de rebondir, les anciens prisonniers corses refusant de se plier aux contraintes de cette inscription. Les mots, en droit, sont très lourds de sens.
 
Je l’ai déjà dit, une partie des citoyens en Corse, très opposée à toute velléité autonomiste ou indépendantiste, verrait peut-être d’un bon œil le glissement de la loi qui conduirait à criminaliser le « séparatisme ». Une autre partie des citoyens, non nécessairement autonomistes, s’inquiéterait du fait qu’on privilégierait la stigmatisation plutôt que le débat et le dialogue, l’épreuve de force plutôt que la recherche d’un consensus, l’amalgame plutôt que la distinction des situations. Ces derniers se demanderaient alors si, en jouant sur les mots, on ne joue pas aussi avec le feu.
Dimanche 28 Mars 2021
Sampiero Sanguinetti


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