Bien qu’ayant été l’un des acteurs essentiels de la Résistance en Corse, Léo Micheli ne s’est pas investi ensuite dans les combats électoraux, comme Arthur Giovoni, François Vittori ou Raoul Benigni. Malgré son éloignement du parti à compter du rapport Khrouchtchev de 1956, il resta une figure majeure du communisme dans l’île, incarnant fort souvent la mémoire de la Résistance.
Ce discours qu’il prononça à San Gavinu di Carbini, commune de Jean Nicoli, le 25 août 1978, a été retrouvé et nous a été confié par sa fille Vannina. À une époque où le mouvement nationaliste se définissait comme la nouvelle résistance à l’oppression, Léo Micheli rappelle l’histoire du combat des communistes contre le fascisme en prenant essentiellement soin de poser ce qui peut aujourd'hui les opposer au nationalisme corse : le rejet de la France et l’usage de la violence. Tout en séparant clairement le mouvement contemporain et celui d’A Muvra, il accuse aussi les membres de ce dernier et particulier Petru Rocca d’avoir été les tortionnaires de résistants, ce qui ne semble pas corroboré jusqu’à aujourd’hui par les recherches historiques, par exemple celles de Francis Arzalier [1]. Léo Micheli développe aussi ce qui peut rapprocher communistes et nationalistes : le peuple corse, dont il n'a certainement pas la même vision que les nationalistes, mais dont la défense commande tant le don de soi que le dépassement de certains clivages politiques.
[1] Petru Rocca a été condamné à quinze ans de réclusion lors dudit "procès des irrédentistes" en 1946, mais pas pour trahison durant l’occupation. Ce grief n'a pas été non plus retenu pour les deux autres figures d'A Muvra condamnées, Eugène Grimaldi et Hyacinthe Yvia-Croce.
Ce discours qu’il prononça à San Gavinu di Carbini, commune de Jean Nicoli, le 25 août 1978, a été retrouvé et nous a été confié par sa fille Vannina. À une époque où le mouvement nationaliste se définissait comme la nouvelle résistance à l’oppression, Léo Micheli rappelle l’histoire du combat des communistes contre le fascisme en prenant essentiellement soin de poser ce qui peut aujourd'hui les opposer au nationalisme corse : le rejet de la France et l’usage de la violence. Tout en séparant clairement le mouvement contemporain et celui d’A Muvra, il accuse aussi les membres de ce dernier et particulier Petru Rocca d’avoir été les tortionnaires de résistants, ce qui ne semble pas corroboré jusqu’à aujourd’hui par les recherches historiques, par exemple celles de Francis Arzalier [1]. Léo Micheli développe aussi ce qui peut rapprocher communistes et nationalistes : le peuple corse, dont il n'a certainement pas la même vision que les nationalistes, mais dont la défense commande tant le don de soi que le dépassement de certains clivages politiques.
[1] Petru Rocca a été condamné à quinze ans de réclusion lors dudit "procès des irrédentistes" en 1946, mais pas pour trahison durant l’occupation. Ce grief n'a pas été non plus retenu pour les deux autres figures d'A Muvra condamnées, Eugène Grimaldi et Hyacinthe Yvia-Croce.
Nous sommes venus des quatre coins de l’île, de Tomino et de Bastia, d’Ajaccio et de Bonifacio, jusqu’ici, jusqu’en ce haut-lieu de la lutte des patriotes contre l’occupation étrangère, trente-cinq ans après, abolissant ainsi toutes les distances, de temps et d’espace, pour témoigner !
Pour témoigner que ce peuple, le peuple corse, notre peuple, ne veut pas être, n’est pas, comme ces formations primitives, un peuple disloqué et sans mémoire, mais un seul peuple du Nord au Sud, fier de ses luttes d’hier et d’aujourd’hui !
Nous sommes venus ici pour parler aussi de ce qui est peut-être le plus important pour notre jeunesse, de nos erreurs.
Rien ne serait plus contraire à l’idéal de Jean (NDLR : Jean Nicoli), de Jean qui était la vie même, que de le transformer… en momie … Car nous, communistes, qui, comme on dit, « haïssons tous les Dieux », ne voulons pas sacraliser nos morts, fussent-ils ces morts exemplaires que furent nos camarades, préférant avec le poète, dire que : « ces morts sont des vivants mêlés à nos combats ».
Avec d’autres patriotes, avec d’autres Corses, qui n’étaient pas communistes, ils ont tenté de faire ensemble quelque chose, quelque chose en commun, quelque chose qui dépasse le communiste, et qui dépasse celui qui ne l’était pas, quelque chose qui unissait ceux qui étaient séparés, eh bien, moi je vous le dis, ce quelque chose de commun, c’était la Corse, c’était son peuple.
Oh, pas n’importe quelle Corse, mais une Corse enchaînée, une Corse opprimée, une Corse exploitée, mais une Corse vivante, qui ne voulait pas mourir, luttant contre un même ennemi, le fascisme. Jean a lutté et en est mort, comme il l’a écrit, « pour tous les spoliés de la terre ».
C’est l’histoire d’un peuple qui n’a pas voulu mourir parce qu’en ce temps-là, en devenant fasciste, cette terre de liberté, cessant d’être française, son peuple lui-même cessait d’exister. Ce que voulait Mussolini, ils nous l’ont dit, c’était « la cage sans les oiseaux ».
L’union des Corses a pu se réaliser autour du Front national et du Front patriotique des jeunes, fondés à l’initiative du Parti, parce que les objectifs étaient clairs, compréhensibles, réalisables :
Pour témoigner que ce peuple, le peuple corse, notre peuple, ne veut pas être, n’est pas, comme ces formations primitives, un peuple disloqué et sans mémoire, mais un seul peuple du Nord au Sud, fier de ses luttes d’hier et d’aujourd’hui !
Nous sommes venus ici pour parler aussi de ce qui est peut-être le plus important pour notre jeunesse, de nos erreurs.
Rien ne serait plus contraire à l’idéal de Jean (NDLR : Jean Nicoli), de Jean qui était la vie même, que de le transformer… en momie … Car nous, communistes, qui, comme on dit, « haïssons tous les Dieux », ne voulons pas sacraliser nos morts, fussent-ils ces morts exemplaires que furent nos camarades, préférant avec le poète, dire que : « ces morts sont des vivants mêlés à nos combats ».
Avec d’autres patriotes, avec d’autres Corses, qui n’étaient pas communistes, ils ont tenté de faire ensemble quelque chose, quelque chose en commun, quelque chose qui dépasse le communiste, et qui dépasse celui qui ne l’était pas, quelque chose qui unissait ceux qui étaient séparés, eh bien, moi je vous le dis, ce quelque chose de commun, c’était la Corse, c’était son peuple.
Oh, pas n’importe quelle Corse, mais une Corse enchaînée, une Corse opprimée, une Corse exploitée, mais une Corse vivante, qui ne voulait pas mourir, luttant contre un même ennemi, le fascisme. Jean a lutté et en est mort, comme il l’a écrit, « pour tous les spoliés de la terre ».
C’est l’histoire d’un peuple qui n’a pas voulu mourir parce qu’en ce temps-là, en devenant fasciste, cette terre de liberté, cessant d’être française, son peuple lui-même cessait d’exister. Ce que voulait Mussolini, ils nous l’ont dit, c’était « la cage sans les oiseaux ».
L’union des Corses a pu se réaliser autour du Front national et du Front patriotique des jeunes, fondés à l’initiative du Parti, parce que les objectifs étaient clairs, compréhensibles, réalisables :
- Chasser les fascistes
- Liquider Vichy
- Donner la parole au peuple.
Certes, nous restions plus corses que jamais : les Corses ne se sont jamais sentis plus Corses que sous l’oppression fasciste.
Ce qui éclaire l’attitude de la grande bourgeoisie à l’égard des communistes, et singulièrement l’attitude des milieux d’Alger à l’égard du peuple corse soulevé, c’est De Gaulle lui-même écrivant dans ses « Mémoires » que durant l’occupation « la nation voyait les travailleurs reparaître en patriotes en même temps qu’insurgés ».
Le mérite des communistes corses, Jean l’a exprimé à son dernier matin mieux que personne, c’est d’avoir associé à la « Fleur rouge », symbole des luttes et des espoirs des exploités, cette « tête de maure » qu’il jetait à la face des fascistes italiens et français, de cette haute bourgeoisie corse qui épousait la cause de l’irrédentisme, c’est de leur avoir arraché le drapeau de la Corse.
Non seulement, nous n’avons pas escamoté nos misères, non seulement nous n’avons pas écouté les timorés et autres éternels hésitants petits-bourgeois qui voulaient tirer en arrière notre politique par crainte, disaient-ils, qu’on en veuille ici à la France, mais nous nous sommes fait une arme des malheurs de notre peuple en le rendant conscient de ses malheurs et en frappant les fascistes français, la grande bourgeoisie française, l’État français.
Non seulement nous avons combattu ceux qui, d’ici et de France, menaient campagne contre le peuple italien frère, mais nous avons gagné à notre cause commune nombre d’ouvriers italiens : c’est notre fierté de pouvoir dire aujourd’hui que l’ouvrier typographe qui, sous la direction d’Émile Reboli, mit en place notre appareil technique et imprima, dans une grotte près de Porri, nos journaux et nos tracts, était italien, un antifasciste et patriote italien qui avec nous voulait abattre le fascisme, et d’abord le fascisme de son propre pays, c’était notre camarade Pedini.
À qui veut comprendre pourquoi le mot d’autonomie provoque tant de réserves chez nous, qu’il nous suffise de rappeler ce fait que connaissent bien tant de travailleurs de Bastia, c’est que les serviettes-éponges que les proches d’Émile Reboli allaient chercher chaque semaine à la caserne Marbeuf, étaient pleine du sang de notre camarade torturé par les dirigeants autonomistes et irrédentistes qui furent plus tard condamnés comme « agents de l’ennemi » et que, parmi eux, figura l’auteur du U Culombu. Qu’on ne voie aucune ombre d’assimilation entre hier et aujourd’hui mais qu’on comprenne au moins que nous disions à certains jeunes qui aiment ce chant : « si vous avez des raisons de le chanter, nous avons des morts pour nous taire ».
Il ne suffit pas de parler une langue commune pour s’entendre.
On nous dit, on nous répète, que dans certains mouvements indépendantistes et ailleurs se tiennent des gens qui font profession d’anticommunisme militant. Si cela était, comment notre peuple, qui a tant souffert de l’anticommunisme, pourrait-il comprendre que des admirateurs de Jean Nicoli et de Dominique Vincetti, des patriotes corses, par quelle aberration pourraient mettre leur main dans la main de tels individus ? Jean Nicoli écrivait une heure avant de mourir : « Si vous saviez comme je suis calme et presque heureux de mourir parce que je meurs pour la Corse, pour le Parti ».
L’affirmation à la vie, notre peuple ne la traduit par aucun ostracisme à l’égard de quiconque. Elle est respect des autres. Plus notre peuple aujourd’hui enchaîné sera libre, plus sera solide et féconde une union avec la France, mais une France nouvelle.
Mais nous n’accepterons pas, comme hier, que certains, bien mal placés pour le faire, viennent claironner : « vive la France » dans le vain espoir de nous conduire à apporter notre caution à la politique désastreuse de la grande bourgeoisie française.
Le succès de notre politique tenait à une confiance inébranlable dans notre peuple. C’est cette confiance dans les masses qui autorisa notre parti à lancer dans son appel au peuple corse du 1er mai 1943 – que j’ai eu l’honneur de rédiger en son nom – : « vive l’action armée immédiate par tous les moyens » et c’est cette même confiance qui conduit nos fédérations communistes à appeler notre peuple à une lutte unitaire pour imposer la démocratie jusqu’au bout.
L’appel au peuple corse portait : « N’attendez plus. N’attendez plus le débarquement des alliés. N’attendez plus que la libération vienne d’Alger ou de Londres. Votre libération est d’abord ici, par votre action de tous les jours, entre vos mains. Comptez sur vous-mêmes d’abord. La libération de la Corse sera, en premier lieu, l’œuvre du peuple corse lui-même ».
Le peuple corse existe. C’est aux communistes à prendre en mains le drapeau de la Corse… Ceci suppose un combat d’une très grande fermeté à l’égard du chauvinisme, de toute ombre de chauvinisme…
Au mot d’ordre diviseur et confus « I francesi fora », notre parti a substitué le mot d’ordre « I grandi capitalisti fora »… Mais assurément le refus d’IFF n’a jamais voulu signifier I Corsi Fora… Travailler et vivre au pays est le mot d’ordre profond de notre parti.
On connaît notre position de principe sur la violence… Nous condamnons les actes de violence individuelle… Les plus grands plastiqueurs, ce sont tous ces jeunes corses qui, chaque nuit, rêvent dans leur lit, de faire sauter cette société qui leur fait un malheur d’être jeune corse… « Ce pouvoir est disqualifié pour se poser en justicier » a dit, au nom de la fédération du Sud, Albert Ferracci. « S’il levait la main pour réprimer notre peuple, le pouvoir trouverait devant lui notre parti appelant le peuple à se rassembler ».
La stratégie géopolitique du Règne est donc de se servir de ce « porte-avion insubmersible » d’où partiraient des forces répressives avec le concours et sous le contrôle de fait de l’OTAN pour tenter de briser les élans libérateurs des peuples africains. Notre parti en Corse l’a déclaré fermement : « Non, la Corse ne doit pas être une base d’agression contre des peuples en lutte contre le colonialisme ». Ses mots d’ordre sont clairs et rassembleurs : legione fora. Dissolvez la légion. Évacuez Solenzara, base militaire de l’OTAN. Transformer Solenzara en aérodrome civil.
L’exigence, aujourd’hui, c’est de rassembler notre peuple… Pas d’union sacrée. La qualité de l’union dépend de la liberté avec laquelle, dans les limites de l’union, chaque participant use de sa liberté.
On reconnaît aujourd’hui l’homme de gauche en Corse à l’indépendance politique qu’il manifeste à l’égard du pouvoir. Le patriote corse, s’il met au-dessus de tout l’intérêt supérieur du peuple corse, ne pourra pas ne pas rencontrer sur son chemin l’obstacle du grand capitalisme et de ses soutiens. Et la lutte, notre parti l’y aidera, le fera réfléchir…
Jamais, nous n’abandonnerons notre lutte de principe contre les clans. Nous ne sommes pas des nationalistes bourgeois : la Corse n’est pas le sel de la Terre, la France non plus d’ailleurs.
Analyser les problèmes tels qu’ils sont, ici et maintenant, à partir des conditions concrètes de la Corse, de son originalité. Le terrain de la lutte des classes poussée jusqu’au bout, c’est par excellence le terrain corse parce qu’ici se manifeste avec une malfaisance particulière toute la nocivité de ce régime.
La France, ce n’est pas pour nous « la madone aux fresques des églises ». Elle est à un moment donné, dominée par un État, par une classe et à son bénéfice contre d’autres classes et à leur détriment. Elle est aujourd’hui dominée par un État capitaliste qui n’a cure ni des Corses, ni de la Corse. Ce n’est assurément pas pour cette France-là que nos morts sont morts.
Rien n’interdit au peuple corse la possibilité – tout au contraire l’y pousse – d’ouvrir, sans attendre, une voie nouvelle, originale. Ces institutions, qu’il se donnerait par la lutte, sans lesquelles aucun problème d’importance pour son développement ne pourrait être examiné sérieusement, seraient créatrices d’une situation nouvelle, et déterminer si elles pourraient s’accommoder du régime tel qu’il est aujourd’hui. La dialectique de l’histoire, comme on dit, ou plutôt la lutte, y apportera réponse.
Confiance, confiance dans notre peuple et courage : un jour, le soleil du socialisme brûlera sur la Corse, et à jamais.