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Habiter en Corse ? Manifeste pour des logements décents



En 2016, dans le cadre de la campagne pour les élections territoriales, un ensemble de personnes réunies dans le collectif VIA avait décidé de contribuer à alimenter le débat politique en articulant un certain nombre de propositions programmatiques. Paul Casalonga avait à cette occasion rédigé ce manifeste, qui malgré le temps d’une mandature passée, est non seulement toujours d’actualité mais répond à des interrogations et à des besoins d’aujourd’hui.



Yoann Giovannoni
Yoann Giovannoni
En 1968 avait fleuri sur les murs de l’Ecole d’Architecture et des Beaux-Arts de Paris ce slogan :
« Travailleurs, le Capital ne vous loge pas, il vous stocke ! »
 
Toujours est-il que, quelles que soient ses qualités techniques, un logement ne répondra que partiellement à l’objectif de permettre de satisfaire au besoin fondamental d’une vie dans une société harmonieuse et apaisée, car il ne fera que procurer un abri. Pour créer cette société, il ne suffit pas d’établir une Politique du Logement : Il faut mettre en œuvre une Politique de l’Habitat.
Quelle différence demanderont certains ? Elle est fondamentale, car si le logement, n’est que l’Abri, l’Habitat, (l’Oïkos ou niche écologique), c’est l’espace qui permet au corps social, quelle que soit sa taille, sa culture, ses moyens, sa diversité, de s’épanouir, de s’éduquer, de produire, de se distraire, de se déplacer, d’échanger, de se conserver en bonne santé et, bien évidemment aussi, de se loger.
Ce n’est pas forcément dans la croissance urbaine, génératrice d’agressivité, que se trouve la solution. C’est, d’une part, la revitalisation de l’espace rural et/ou, dans les villes, l’organisation des quartiers de telle façon qu’ils ne deviennent pas des ghettos, grâce à des activités inter-quartiers.
 

L’occupation du territoire en Corse

Dans le cas particulier de la Corse, on doit rappeler un point d’histoire de l’occupation du territoire : à la fin du XIXe siècle, pour une population totale d’environ 300.000 habitants, il y en avait environ 40.000 entre Ajaccio et Bastia et environ 10.000 dans les bourgs secondaires (Corte, Sartene, Calvi, Calenzana, Porto-Vecchio, Bonifacio, Cervione, Saint-Florent, Vico, etc.). Le reste, soit environ 250.000 habitants, était réparti sur l’ensemble du territoire, dans des villages, des hameaux et de l’habitat isolé.
En 2016, sur environ 300.000 habitants permanents, environ 150.000 sont répartis entre Ajaccio et Bastia, 50.000 environ sont répartis entre les villes secondaires, et il n’en reste au plus qu’environ 100.000 répartis dans les villages.
 
Il y a donc dans le milieu rural, un parc de logements mobilisable, théoriquement évalué à 250.000 – 100.000 = 150.000. Certes, au XIXe siècle le taux d’occupation des logements était plus élevé que maintenant, probablement le double, mais même si l’on divise par deux le nombre de logements vides, on arriverait à 75.000 logements, en ramenant ce nombre à 50.000 pour tenir compte du fait que de nombreuses maisons sont maintenant à l’état de ruines non réhabilitables, faute d’entretien, ce fait étant probablement dû aux effets pervers des Arrêtés Miot (suppression en Corse des impôts indirects résultant de la nationalisation des forêts et des difficultés de percevoir ces impôts, ce qui a conduit à la permanence de l’indivision).
 
Mais ces logements faisaient réellement à l’époque partie d’un habitat, au sens défini plus haut. En effet il y avait de nombreuses activités économiques dans tous les groupements humains :
- Agriculture : jardins potagers, vergers d’oliviers et/ou de châtaigniers et de divers fruitiers (figuiers, pommiers, cerisiers, poiriers, cognassiers, plaqueminiers, etc. ; élevage (caprins, ovins, porcins, bovidés ; emblavures (blé, avoine) ; plantes à fibre (coton, chanvre, agaves) ; tabac ; vignes.
- Agro-industrie : transformation des produits agricoles ; élevage de vers à soie ; séchage du tabac ; vinification ; meunerie ; etc.
- Artisanat de fabrication : pipiers, dinandiers, tissage de fibres, briqueteries, tuileries, ébénisterie, etc.
- Petite industrie : fours à chaux, carrières, fonderies, etc.
- Commerce : épicerie, boucherie, bar-tabac, colporteurs, etc.
- Artisanat de services : forgerons, maréchaux-ferrants, maçons, muletiers, bûcherons, fontainiers, sages-femmes, rebouteux, sourciers, etc…
- Secteur tertiaire : écoles, culte, notariat, juges de paix, gardes-champêtres, conteurs, chanteurs, musiciens, etc…
 
Chaque village, chaque hameau, disposait de lieux de rencontres et d’animation: église, place publique, bar, salle de danse, cimetière, fontaine, lavoir, fours banaux, foires annuelles, feux de la Saint Jean, chjama è rispondi, etc.
 

Recréer un cadre de vie

Certes, tout ne peut pas être recréé dans une recherche nostalgique du passé, mais les progrès techniques, en particulier les nouvelles technologies de l’information et de la communication permettent à n’importe quel métier intellectuel de se développer en zone rurale. Et les intellectuels ne peuvent survivre quelque part que s’il y a des manuels, ces derniers ayant autant besoin des ‘intellos’ que les intellos ont besoin d’eux. De plus il ne faut pas perdre de vue que, en vérité, l’épanouissement humain est l’œuvre des intello-manuels et des manuelo-intellectuels.
 
La re-création d’un cadre de vie, d’un HABITAT, constitue une véritable ré-évolution qui est encore possible en Corse.
Certes il y a quelques obstacles à surmonter :
- L’indivision : pour des raisons psychologiques, pour ne pas dire sentimentales, de nombreux héritiers sont réticents à sortir de l’indivision. Mais point n’est besoin d’en sortir si les co-héritiers créent une SCI qui gèrera le bien familial et distribuera le profit (vente, location, gîte rural, hôtel de charme) au prorata des parts d’héritage. Ce n’est pas un concept anormal, la plupart des gens vivent dans des immeubles en copropriété et connaissent très bien la répartition par quantièmes (en général millièmes) de parts.

- La formation des réhabilitateurs, petits artisans du bâtiment et architectes, permettrait de développer un marché sur lequel les grosses entreprises capitalistiques seraient inopérantes, tandis qu’elles sont les mieux adaptées pour construire des immeubles urbains de grande hauteur en étranglant les petits sous-traitants.

- La communication nécessite d’une part que tous les villages et hameaux soient équipés de la fibre optique ou de connexions satellitaires à haut débit, mais il est également nécessaire d’améliorer les liaisons routières et ferroviaires pour permettre un accès plus facile aux services de santé de haut niveau (qui devraient être situés en périphérie des villes pour éviter les embouteillages). Quant à l’accès facile aux super et hyper marchés, il deviendrait inutile si le monde rural était dynamisé et que les productions agricoles de qualité, professionnelles ou familiales, venaient remplacer les produits importés de lointaines contrées, avec ce que cela comporte du point de vue des émissions de carbone.

L’animation des espaces ruraux a déjà pris son essor, que cela soit par la résurgence des foires, les concerts dans les églises, les médiathèques, les Nuits de la Musique, les Nuits du Conte, les fêtes patronales, etc. Sans parler de l’accès à la télévision.

La sécurité, préoccupation de plus en plus prégnante, est plus facile à assurer dans les petites communautés d’habitants dans lesquelles le contrôle social est à la fois plus facile et moins oppressant. Les querelles de voisinage dans les villages se règlent maintenant le plus souvent à coups d’injures, tandis que l’agressivité engendrée par la surpopulation conduit facilement à des solutions extrêmes, comme l’a démontré Konrad Lorentz.
 
Outre l’offre d’un véritable Habitat, une réhabilitation des hameaux abandonnés et des maisons en ruine, isolées aussi bien que regroupées, permettra la reconquête du territoire rural sauvegardant nôtre patrimoine bâti qui est une part importante de notre patrimoine culturel qui ne serait plus dégradé par les villas néo-provençales, et rendant leur rentabilité financière à notre patrimoine économique oublié : notre maquis, nos forêts, nos terres agricoles, notre hydrographie, notre géologie, nos paysages.
 
Bien entendu cela nécessite une vision politique globale.
 
Dimanche 27 Novembre 2022
Paul Casalonga


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