
Letizia Battaglia
Le juge Falcone, en Sicile, a décrit le sens du collectif, de la famille et du territoire comme un des éléments constitutifs d’un phénomène mafieux. Falcone, bien évidemment, ne criminalisait pas ce sens du collectif et de la famille. Mais il faisait le constat que cette qualité facilite la constitution d’une « société organisée » qui peut même devenir criminelle. Pour concevoir la manière dont le juge, assassiné à proximité de Palerme, en venait à mentionner le sens du collectif comme noyau d’une forme de criminalité, il faut partir de l’analyse qu’il faisait de la fameuse « loi du silence » ou « omertà ».
L’omertà selon Gérald Darmanin
Lors du débat qui s’est tenu à l’Assemblée de Corse sur le thème de la mafia, au mois de février de cette année 2025, le ministre de la Justice, garde des Sceaux, Gérald Darmanin a évoqué la question de l’omertà. Il l’a fait en répondant à des propos de Valérie Bozzi. « vous avez dit : “prétendue omertà”, madame Bozzi. Il n’y aurait donc que vous en Corse qui considérez qu’il n’y a pas d’omertà ».
Si Gérald Darmanin tenait à insister sur cette question de l’omertà, c’était pour justifier la nécessité selon lui de renforcer le recours à ce qu’on appelle les « collaborateurs de justice », autrement dit les « pentiti » en langue italienne ou les « repentis » en français. Dans une île où, figés par la peur, les citoyens se tairaient, observant strictement ce qu’on appelle la loi du silence, les repentis seraient le recours ultime des policiers et des magistrats pour obtenir des informations.
Cette question de la loi du silence pourtant ne fait pas l’unanimité et, contrairement à ce que dit le ministre, il est juste de noter que Valérie Bozzi n’est pas la seule à avoir exprimé des doutes quant à la prégnance de ce phénomène en Corse. Les habitants de l’île ont souvent le sentiment que la rumeur, qui conduit à dire tout et n’importe quoi, est une réalité plus significative en Corse que la peur de parler. Cela est vrai. Mais cette surabondance de commentaires débridés ne serait-elle pas une autre manière, subtile, de noyer la vérité ? En Sicile même, la question de l’omertà est selon les spécialistes plus complexe qu’il n’y parait.
Giovanni Falcone, dans les entretiens qu’il a eus avec la journaliste Marcelle Padovani, s’est arrêté sur cette question.
Si Gérald Darmanin tenait à insister sur cette question de l’omertà, c’était pour justifier la nécessité selon lui de renforcer le recours à ce qu’on appelle les « collaborateurs de justice », autrement dit les « pentiti » en langue italienne ou les « repentis » en français. Dans une île où, figés par la peur, les citoyens se tairaient, observant strictement ce qu’on appelle la loi du silence, les repentis seraient le recours ultime des policiers et des magistrats pour obtenir des informations.
Cette question de la loi du silence pourtant ne fait pas l’unanimité et, contrairement à ce que dit le ministre, il est juste de noter que Valérie Bozzi n’est pas la seule à avoir exprimé des doutes quant à la prégnance de ce phénomène en Corse. Les habitants de l’île ont souvent le sentiment que la rumeur, qui conduit à dire tout et n’importe quoi, est une réalité plus significative en Corse que la peur de parler. Cela est vrai. Mais cette surabondance de commentaires débridés ne serait-elle pas une autre manière, subtile, de noyer la vérité ? En Sicile même, la question de l’omertà est selon les spécialistes plus complexe qu’il n’y parait.
Giovanni Falcone, dans les entretiens qu’il a eus avec la journaliste Marcelle Padovani, s’est arrêté sur cette question.
Une culture des « sociétés secrètes »
La mafia, donc, imposerait sur les domaines qu’elle contrôle, la fameuse « loi du silence ». Or, Giovanni Falcone et les spécialistes qui, dans son sillage, se sont penchés sur les fonctionnements mafieux, considèrent que l’omertà définit quelque chose, comme je l’ai dit, de beaucoup plus complexe que la simple « loi du silence ».
Il faut, pour comprendre cela, revenir sur ce que serait réellement une mafia selon ces spécialistes. Une mafia, expliquent-ils, serait beaucoup plus qu’une simple bande criminelle. Certains d’entre eux, comme Xavier Raufer, parlent de « société secrète » dans laquelle on n’entre pas par copinage mais par initiation. Et c’est à travers un système particulier de communication et la connaissance des signes et du langage mafieux que l’édifice de la mafia peut tenir debout. Le devoir de « silence » n’en garantirait pas à lui seul la pérennité car le silence peut à tout moment être rompu. Il peut l’être par intérêt, par inadvertance, par « esprit de trahison », ou sous la torture... Et le système des repentis serait en quelque sorte une preuve de plus de la fragilité de ce concept de loi du silence. Ce qui garantit la sécurité de l’organisation c’est que personne, en dehors peut-être des quelques membres de la « coupole », ne connaît intégralement la vérité. Chacun n’en connaît que des bribes.
Il faut, pour comprendre cela, revenir sur ce que serait réellement une mafia selon ces spécialistes. Une mafia, expliquent-ils, serait beaucoup plus qu’une simple bande criminelle. Certains d’entre eux, comme Xavier Raufer, parlent de « société secrète » dans laquelle on n’entre pas par copinage mais par initiation. Et c’est à travers un système particulier de communication et la connaissance des signes et du langage mafieux que l’édifice de la mafia peut tenir debout. Le devoir de « silence » n’en garantirait pas à lui seul la pérennité car le silence peut à tout moment être rompu. Il peut l’être par intérêt, par inadvertance, par « esprit de trahison », ou sous la torture... Et le système des repentis serait en quelque sorte une preuve de plus de la fragilité de ce concept de loi du silence. Ce qui garantit la sécurité de l’organisation c’est que personne, en dehors peut-être des quelques membres de la « coupole », ne connaît intégralement la vérité. Chacun n’en connaît que des bribes.
Le domaine des « discours incomplets »
« Aucun homme d’honneur ne connaît toute la vérité des faits de Cosa Nostra » a confirmé Tommaso Buscetta, l’un des plus célèbres repentis, au juge Falcone. Et ce dernier a traduit ce principe en observant que « Cosa Nostra est le royaume des discours incomplets ».
Pour connaître la vérité il faudrait être capable d’accéder à la totalité des « discours incomplets » et être capable d’en reconstituer le puzzle. Une tâche presque impossible.
Pour que ce système de l’omertà fonctionne, il faut qu’un certain nombre d’exigences soient remplies. Il faut pour commencer, dit Giovanni Falcone, que l’organisation « s’appuie sur des particularismes locaux et des cultures archaïques » : des « sociétés où le sens du collectif, de la famille, du clan, du territoire, de l’appartenance, prime sur le “moderne individualisme” ».
Il faut ensuite que l’organisation soit très structurée. Certes, il existe plusieurs sortes de mafia, mais « plus une organisation est centralisée et clandestine plus il faut la craindre, parce qu’elle dispose des moyens nécessaires au contrôle efficace du marché et au maintien de l’ordre sur son territoire avec un laps de temps très bref entre la prise de décision et la mise en œuvre de ces décisions » [1]. Passant en revue les différentes organisations qualifiées de mafias dans le monde, Giovanni Falcone remarque « qu’on ne peut pas faire avec n’importe quel végétal un faisceau et appeler mafia ce qui n’en est pas une car dans ce cas on se montrerait incapable d’élaborer des stratégies différenciées et nos actions se révèleraient moins efficaces ». [2]
Voilà ce qui conduit de la notion de loi du silence à celle des « discours incomplets » et de l’omertà tels que les définissait le juge Falcone.
Pour connaître la vérité il faudrait être capable d’accéder à la totalité des « discours incomplets » et être capable d’en reconstituer le puzzle. Une tâche presque impossible.
Pour que ce système de l’omertà fonctionne, il faut qu’un certain nombre d’exigences soient remplies. Il faut pour commencer, dit Giovanni Falcone, que l’organisation « s’appuie sur des particularismes locaux et des cultures archaïques » : des « sociétés où le sens du collectif, de la famille, du clan, du territoire, de l’appartenance, prime sur le “moderne individualisme” ».
Il faut ensuite que l’organisation soit très structurée. Certes, il existe plusieurs sortes de mafia, mais « plus une organisation est centralisée et clandestine plus il faut la craindre, parce qu’elle dispose des moyens nécessaires au contrôle efficace du marché et au maintien de l’ordre sur son territoire avec un laps de temps très bref entre la prise de décision et la mise en œuvre de ces décisions » [1]. Passant en revue les différentes organisations qualifiées de mafias dans le monde, Giovanni Falcone remarque « qu’on ne peut pas faire avec n’importe quel végétal un faisceau et appeler mafia ce qui n’en est pas une car dans ce cas on se montrerait incapable d’élaborer des stratégies différenciées et nos actions se révèleraient moins efficaces ». [2]
Voilà ce qui conduit de la notion de loi du silence à celle des « discours incomplets » et de l’omertà tels que les définissait le juge Falcone.
[1] Giovanni Falcone, in collaborazione con Marcelle Padovani, Cose di Cosa Nostra, Fabbri Editori / Corriere della sera 1995, p. 111.
[2] Cose di Cosa Nostra, p. 113.
En quoi ces schémas sont-ils ou ne sont-ils pas applicables à la Corse ?
Si l’on veut mettre ses pas dans les pas du juge Falcone, il est effectivement possible de dire que la Corse répond en partie à l’un des critères définis par Giovanni Falcone pour permettre l’existence d’une mafia : « une société où le sens du collectif, de la famille, du clan, du territoire, de l’appartenance, prime sur le moderne « individualisme ». A priori ce sens du collectif à lui seul n’est évidemment ni honteux ni un handicap. Ce serait même un atout. Et il faudrait se désoler de son remplacement dans nos sociétés par le « moderne individualisme ». Mais cet atout a un revers. Au sujet de la Corse les particularismes locaux y restent à l’évidence encore très forts et l’insularité y protège ou y entretient le sens du collectif.
La seconde condition posée par Giovanni Falcone pour définir l’existence d’une mafia, par contre, à savoir la structuration très poussée de la délinquance, la culture dans le monde de la criminalité d’une forme de « société secrète » n’est absolument pas vérifiée. Elle n’est pas vérifiée et la plupart des observateurs s’entendent pour dire qu’il n’existe pas en Corse de clan criminel qui réponde à cette forme d’organisation. C’est au demeurant ce que disent les magistrats qui s’expriment dans le livre Juges en Corse.
Comme le dit Falcone donc, « on ne peut pas appeler mafia ce qui n’en est pas une ». C’est vrai, mais cela en réalité ne change rien à la volonté des autorités de durcir les législations destinées à lutter contre la « grande criminalité » ou contre la « criminalité organisée ». Concernant la Corse, il existe au moins deux raisons à cela.
La seconde condition posée par Giovanni Falcone pour définir l’existence d’une mafia, par contre, à savoir la structuration très poussée de la délinquance, la culture dans le monde de la criminalité d’une forme de « société secrète » n’est absolument pas vérifiée. Elle n’est pas vérifiée et la plupart des observateurs s’entendent pour dire qu’il n’existe pas en Corse de clan criminel qui réponde à cette forme d’organisation. C’est au demeurant ce que disent les magistrats qui s’expriment dans le livre Juges en Corse.
Comme le dit Falcone donc, « on ne peut pas appeler mafia ce qui n’en est pas une ». C’est vrai, mais cela en réalité ne change rien à la volonté des autorités de durcir les législations destinées à lutter contre la « grande criminalité » ou contre la « criminalité organisée ». Concernant la Corse, il existe au moins deux raisons à cela.
Une confusion volontairement entretenue entre clan « mafieux » et clans politiques
Face à ce qu’on appelle aujourd’hui les « narcotrafiquants », les « territoires » ne se distinguent pas beaucoup les uns des autres. Le seul critère qui intéresse les trafiquants est celui de l’existence ou non d’une clientèle. Les mesures « à l’italienne » qui ont été revendiquées en Corse par les collectifs anti-mafia, apparaitraient quelque peu démesurées au strict niveau du cas insulaire, c’est-à-dire d’une société de 350 000 âmes. C’est donc au niveau du phénomène global, au niveau de la France ou de l’Europe, que les autorités entendent mettre en place de telles mesures qui, dès lors, seront applicables en Corse.
L’État, par ailleurs, s’est trouvé pendant des années confronté en Corse à un mouvement effectivement très structuré qui a pu multiplier les attentats dans des proportions impressionnantes. Il s’agissait d’un mouvement nationaliste clandestin, le FLNC, que personne à l’époque n’a jamais assimilé à une bande mafieuse. Cela, tout simplement, parce qu’il n’existait pas de rapport entre les motivations profondes de cette organisation politique et les raisons d’existence éventuelles d’un groupe mafieux. Il y aurait même antinomie.
Mais les magistrats qui s’expriment dans le livre Juges en Corse, par contre, ne veulent, eux, faire aucune différence entre les mouvements nationalistes clandestins et le grand banditisme. « Les frontières en Corse entre les différentes formes de dérives sont loin d’être étanches » écrit le juge Bernard Legras : « il n’y a pas d’un côté le banditisme, de l’autre le terrorisme. Une porosité totale existe entre toutes les forme de criminalité. Les mêmes individus portent alternativement la cagoule du banditisme et celle du terrorisme nationaliste » [1].
« Il n’existe pas de frontière nette entre grand banditisme, nationalisme et terrorisme » renchérit un autre magistrat, Patrice Camberou. Les choses, pour ces magistrats, paraissent donc très claires : si le grand banditisme insulaire classique est peu structuré, les groupes nationalistes, eux, le sont, et les deux formeraient un tout qui vu de l’extérieur de l’île mériterait amplement le titre de mafia et justifierait pleinement l’application à la Corse des mesures de lutte anti-mafia développées en Italie.
Cette philosophie et les propos tenus par des magistrats dans le livre sur les « Juges en Corse », ne sont pas repris officiellement et ouvertement par les autorités politiques. Mais ces propos ne sont pas non plus dénoncés ou condamnés et les magistrats qui les tiennent ne sont pas contredits. Nous pouvons supposer qu’ils sont implicitement admis.
Le gouvernement a donc décidé de doter la Corse, dans les plus brefs délais, d’un pôle anticriminalité organisée. Ce gouvernement reste prudent dans les textes officiels au sujet des mots qui sont inscrits. Mais l’affichage, plus ou moins ambigu, va dans le sens d’une reconnaissance de la dangerosité supérieure de la délinquance en Corse.
L’État, par ailleurs, s’est trouvé pendant des années confronté en Corse à un mouvement effectivement très structuré qui a pu multiplier les attentats dans des proportions impressionnantes. Il s’agissait d’un mouvement nationaliste clandestin, le FLNC, que personne à l’époque n’a jamais assimilé à une bande mafieuse. Cela, tout simplement, parce qu’il n’existait pas de rapport entre les motivations profondes de cette organisation politique et les raisons d’existence éventuelles d’un groupe mafieux. Il y aurait même antinomie.
Mais les magistrats qui s’expriment dans le livre Juges en Corse, par contre, ne veulent, eux, faire aucune différence entre les mouvements nationalistes clandestins et le grand banditisme. « Les frontières en Corse entre les différentes formes de dérives sont loin d’être étanches » écrit le juge Bernard Legras : « il n’y a pas d’un côté le banditisme, de l’autre le terrorisme. Une porosité totale existe entre toutes les forme de criminalité. Les mêmes individus portent alternativement la cagoule du banditisme et celle du terrorisme nationaliste » [1].
« Il n’existe pas de frontière nette entre grand banditisme, nationalisme et terrorisme » renchérit un autre magistrat, Patrice Camberou. Les choses, pour ces magistrats, paraissent donc très claires : si le grand banditisme insulaire classique est peu structuré, les groupes nationalistes, eux, le sont, et les deux formeraient un tout qui vu de l’extérieur de l’île mériterait amplement le titre de mafia et justifierait pleinement l’application à la Corse des mesures de lutte anti-mafia développées en Italie.
Cette philosophie et les propos tenus par des magistrats dans le livre sur les « Juges en Corse », ne sont pas repris officiellement et ouvertement par les autorités politiques. Mais ces propos ne sont pas non plus dénoncés ou condamnés et les magistrats qui les tiennent ne sont pas contredits. Nous pouvons supposer qu’ils sont implicitement admis.
Le gouvernement a donc décidé de doter la Corse, dans les plus brefs délais, d’un pôle anticriminalité organisée. Ce gouvernement reste prudent dans les textes officiels au sujet des mots qui sont inscrits. Mais l’affichage, plus ou moins ambigu, va dans le sens d’une reconnaissance de la dangerosité supérieure de la délinquance en Corse.
[1] Juges en Corse, p. 63.
En quoi la confusion est-elle dangereuse ?
Nous assistons donc à une double forme de soupçon et d’incrimination.
Premièrement, une ombre est indirectement jetée sur ce qui serait une spécificité de la société insulaire : la permanence dans cette île d’un sens exacerbé du collectif, de la famille, et de l’appartenance. Un sens du collectif qui serait aussi le ciment du nationalisme insulaire. Il s’agirait d’un danger puisque Giovanni Falcone dit que ces réflexes sociétaux sont une des conditions nécessaires à l’apparition d’une mafia. Une survivance archaïque face aux évolutions sociétales « normales » qui vont au contraire dans le sens de l’individualisme. Il faut alors, ici, être prudent. Est-on bien certain que ce sens du collectif soit une valeur à combattre ? Et est-on bien certains que « le moderne individualisme » soit une valeur préférable ?
Deuxièmement, les autorités ont criminalisé, bien sûr, l’action violente conduite par des groupes politiques clandestins. Cette criminalisation est logique et inévitable venant d’un État officiellement comptable de la sécurité des biens et des personnes et visé par l’action de ces groupes. Mais cela peut-il justifier la confusion volontairement théorisée par les magistrats entre les organisations dites « mafieuses » et les organisations politiques nationalistes ?
Dès lors que la violence s’est un temps substituée au débat, tous les coups seraient permis dans un sens ou dans l’autre ? Certes, cela est conjoncturellement observable.
Mais dans la réalité, sur le long terme, cette stratégie de la confusion est dangereuse. Elle est dangereuse car elle peut conduire à nier le fond du problème, à mettre la poussière sous le tapis, à couvrir un feu sans l’éteindre. S’il existe un mouvement nationaliste en Corse et des velléités autonomistes, voire indépendantistes, il y a des raisons à cela. Des raisons qui ne sont pas seulement conjoncturelles. Des raisons qui, souvent, viennent de très loin, d’une insularité montagnarde, d’une méditerranéité compliquée, d’une italianité culturelle résistante, d’une religiosité spécifique, d’une histoire difficile à digérer… mais également d’un État en France trop rigide dans ses certitudes.
Rien ne pourra empêcher ces raisons de resurgir à tout moment sous l’effet d’une bourrasque de vent ou à la suite d’une maladresse du souverain, c’est-à-dire de l’État. Pour accuser les militants d’une cause politique de n’être en définitive que des voyous, il faut de la part de cet État être bien certain de n’avoir rien à se reprocher, et avoir clairement identifié les mesures à mettre en œuvre pour éteindre le foyer revendicatif dans ses fondements.
L’État et une partie des élites étatiques en France ont probablement envisagé ce danger. Cela explique que cet État propose dans le même temps la création d’un pôle anticriminalité organisée à Bastia, opération coûteuse, et l’accès de la Corse à un statut d’autonomie qui bousculerait les fondamentaux du système institutionnel français.
La question est de savoir si cette proposition est réellement dénuée d’arrière-pensées. Car dans la conjoncture actuelle, dans le climat de populisme ambiant, les aspirations majoritaires vont plus dans le sens d’un raidissement sécuritaire pur et dur que dans le sens de quelque remise en cause des fondamentaux du système institutionnel. Il existe dans la société française de très fortes résistances face à l’idée d’accorder quelque forme que ce soit d’autonomie à la Corse. Or dans ce cas-là, nous risquerions simplement d’effectuer un grand retour en arrière. Un retour non pas à la situation proprement dite des années 1970-1980, mais au climat de ces années-là.
Premièrement, une ombre est indirectement jetée sur ce qui serait une spécificité de la société insulaire : la permanence dans cette île d’un sens exacerbé du collectif, de la famille, et de l’appartenance. Un sens du collectif qui serait aussi le ciment du nationalisme insulaire. Il s’agirait d’un danger puisque Giovanni Falcone dit que ces réflexes sociétaux sont une des conditions nécessaires à l’apparition d’une mafia. Une survivance archaïque face aux évolutions sociétales « normales » qui vont au contraire dans le sens de l’individualisme. Il faut alors, ici, être prudent. Est-on bien certain que ce sens du collectif soit une valeur à combattre ? Et est-on bien certains que « le moderne individualisme » soit une valeur préférable ?
Deuxièmement, les autorités ont criminalisé, bien sûr, l’action violente conduite par des groupes politiques clandestins. Cette criminalisation est logique et inévitable venant d’un État officiellement comptable de la sécurité des biens et des personnes et visé par l’action de ces groupes. Mais cela peut-il justifier la confusion volontairement théorisée par les magistrats entre les organisations dites « mafieuses » et les organisations politiques nationalistes ?
Dès lors que la violence s’est un temps substituée au débat, tous les coups seraient permis dans un sens ou dans l’autre ? Certes, cela est conjoncturellement observable.
Mais dans la réalité, sur le long terme, cette stratégie de la confusion est dangereuse. Elle est dangereuse car elle peut conduire à nier le fond du problème, à mettre la poussière sous le tapis, à couvrir un feu sans l’éteindre. S’il existe un mouvement nationaliste en Corse et des velléités autonomistes, voire indépendantistes, il y a des raisons à cela. Des raisons qui ne sont pas seulement conjoncturelles. Des raisons qui, souvent, viennent de très loin, d’une insularité montagnarde, d’une méditerranéité compliquée, d’une italianité culturelle résistante, d’une religiosité spécifique, d’une histoire difficile à digérer… mais également d’un État en France trop rigide dans ses certitudes.
Rien ne pourra empêcher ces raisons de resurgir à tout moment sous l’effet d’une bourrasque de vent ou à la suite d’une maladresse du souverain, c’est-à-dire de l’État. Pour accuser les militants d’une cause politique de n’être en définitive que des voyous, il faut de la part de cet État être bien certain de n’avoir rien à se reprocher, et avoir clairement identifié les mesures à mettre en œuvre pour éteindre le foyer revendicatif dans ses fondements.
L’État et une partie des élites étatiques en France ont probablement envisagé ce danger. Cela explique que cet État propose dans le même temps la création d’un pôle anticriminalité organisée à Bastia, opération coûteuse, et l’accès de la Corse à un statut d’autonomie qui bousculerait les fondamentaux du système institutionnel français.
La question est de savoir si cette proposition est réellement dénuée d’arrière-pensées. Car dans la conjoncture actuelle, dans le climat de populisme ambiant, les aspirations majoritaires vont plus dans le sens d’un raidissement sécuritaire pur et dur que dans le sens de quelque remise en cause des fondamentaux du système institutionnel. Il existe dans la société française de très fortes résistances face à l’idée d’accorder quelque forme que ce soit d’autonomie à la Corse. Or dans ce cas-là, nous risquerions simplement d’effectuer un grand retour en arrière. Un retour non pas à la situation proprement dite des années 1970-1980, mais au climat de ces années-là.