En octobre 1962 le pape Jean XXIII ouvre le Deuxième Concile Œcuménique du Vatican. Les théologiens de la libération rappellent que dans les Évangiles, la Croix de Jésus donne leur plein sens aux Écritures, de sorte que « les temps sont accomplis » (Marc 1:15). Il n’y a donc ni nouveau messie ni héros à attendre pour accomplir l’action de Dieu dans l’histoire : le temps ouvert par la Croix de Jésus est le temps des figurants.
En 1963, Pier Paolo Pasolini sort La Ricotta, une fiction de 35 minutes qui compose un film à sketches avec la participation de Rossellini, Godard et Gregoretti, faisant « quatre récits de quatre auteurs qui se limitent à raconter les joyeux principes de la fin du monde ».
Arrêtons-nous, le temps d’une lecture, sur l’expérience du manque comme processus anachronique permettant le devenir : en deux mots, sur le lien entre Désir et Résistance. Pour rester dans la consommation, nous ferons un écart vers la mythologie du brocciu en Corse, particulièrement éloquente dans le cas de notre spéculation, à travers l'étude de Max Caisson.
En 1963, Pier Paolo Pasolini sort La Ricotta, une fiction de 35 minutes qui compose un film à sketches avec la participation de Rossellini, Godard et Gregoretti, faisant « quatre récits de quatre auteurs qui se limitent à raconter les joyeux principes de la fin du monde ».
Arrêtons-nous, le temps d’une lecture, sur l’expérience du manque comme processus anachronique permettant le devenir : en deux mots, sur le lien entre Désir et Résistance. Pour rester dans la consommation, nous ferons un écart vers la mythologie du brocciu en Corse, particulièrement éloquente dans le cas de notre spéculation, à travers l'étude de Max Caisson.
La Ricotta ou la mort comme révolution
Un réalisateur de films (Orson Welles) tourne des épisodes de la Passion en s’inspirant de tableaux maniéristes florentins. Un figurant nommé Stracci (Mario Cipriani) — qui se traduit par « haillons », renvoyant au lumpen du mot Lumpenproletariat, « prolétariat en haillons ») — interprète Dismas le Bon Larron (nom issu probablement du grec "dysme" : « mourant »). Durant le tournage, son désir n’est pas d’être filmé, mais de manger. Grâce à une supercherie, il finit par acheter un gros morceau de ricotta et de pain qu’il dévore, et, pris de l’indigestion de sa « Dernière Cène », attaché à sa Croix pour le dernier plan devant le banquet de fin de tournage, il meurt face à la caméra d’Orson Welles.
Rapidement :
Dans le film se chevauchent deux types d’images : celles au temps de l’incarnation (la caméra d’Orson Welles filme la Passion) et celles au temps de la figuration (la caméra de Pasolini filme un plateau), confrontant l’espace sacré et profane, l’actorialité et la figuralité, le littéral et le parodique, etc. Ce jeu oxymorique opère par un montage anachronique, donc à une sortie du temps (nous y reviendrons).
Pasolini propose une réécriture du récit de Passion telle qu’elle fut (si elle fut) : un cri sans réponse. Ré-écriture possible par un évènement comique durant un des « tableaux » : la chute du Christ-incarné, qui crée une contamination du sacré par le profane en même temps qu’une chute de la valeur pathétique. Alors, drame de la mort du Christ, il ne reste que « le négatif, la trace vide, [c’est-à-dire] le schéma pathétique privé de substance » nous dira Pietro Montani, le Christ laissant sa place vacante.
Stracci est donc un Christ latent, attendant de prendre place, place rendue effective par l’humiliation et la mort sur la Croix ; mais un Christ déchargé de sa condition métaphysique, le « vrai-faux Christ » ayant « chuté » blasphèmetoirement. Le martyr n’est plus messianique : car chargé d’un discours social, il devient déterminé.
Stracci est un figurant : il est au service d’un projet qui le dépasse, il est un corps mouvant et mourant ; assigné au présent absolu de sa survie qui le prive d’être « acteur » de l’histoire. Face à sa mort, le réalisateur (Orson Welles), d’inspiration marxiste, dira : « pauvre Stracci, mourir était le seul moyen qu’il avait de faire la Révolution ». Car sa mort fut le seul moyen de « refuser » de délivrer sa force de production ; émancipation dont il n’est pas conscient.
Attardons nous sur le refus comme principe révolutionnaire par l’étude du brocciu.
Rapidement :
Dans le film se chevauchent deux types d’images : celles au temps de l’incarnation (la caméra d’Orson Welles filme la Passion) et celles au temps de la figuration (la caméra de Pasolini filme un plateau), confrontant l’espace sacré et profane, l’actorialité et la figuralité, le littéral et le parodique, etc. Ce jeu oxymorique opère par un montage anachronique, donc à une sortie du temps (nous y reviendrons).
Pasolini propose une réécriture du récit de Passion telle qu’elle fut (si elle fut) : un cri sans réponse. Ré-écriture possible par un évènement comique durant un des « tableaux » : la chute du Christ-incarné, qui crée une contamination du sacré par le profane en même temps qu’une chute de la valeur pathétique. Alors, drame de la mort du Christ, il ne reste que « le négatif, la trace vide, [c’est-à-dire] le schéma pathétique privé de substance » nous dira Pietro Montani, le Christ laissant sa place vacante.
Stracci est donc un Christ latent, attendant de prendre place, place rendue effective par l’humiliation et la mort sur la Croix ; mais un Christ déchargé de sa condition métaphysique, le « vrai-faux Christ » ayant « chuté » blasphèmetoirement. Le martyr n’est plus messianique : car chargé d’un discours social, il devient déterminé.
Stracci est un figurant : il est au service d’un projet qui le dépasse, il est un corps mouvant et mourant ; assigné au présent absolu de sa survie qui le prive d’être « acteur » de l’histoire. Face à sa mort, le réalisateur (Orson Welles), d’inspiration marxiste, dira : « pauvre Stracci, mourir était le seul moyen qu’il avait de faire la Révolution ». Car sa mort fut le seul moyen de « refuser » de délivrer sa force de production ; émancipation dont il n’est pas conscient.
Attardons nous sur le refus comme principe révolutionnaire par l’étude du brocciu.
A Ciaba ou le refus comme révolution

Mangiatori di Ricotta, Vincenzo Campi
Si le personnage de Stracci est rapprochable au tableau Les mangeurs de ricotta (Buffonaria o Il mangiaricotta) de Vincenzo Campi (c.1580), ce n’est pas tant par le sujet que par ce qui est en latence. Développons par un grand écart mythologico-culinaire.
Comme la ricotta, le brocciu corse est un fromage de lactosérum, dit petit-lait. Une fois le premier fromage fait, le lactosérum est récupéré, mélangé avec du lait, chauffé, signé, formé. Ces fromages de petit-lait possèdent un patrimoine mythologique important dans le bassin méditerranéen, la révélation de la recette alternant d’un conflit entre un berger et u diavulu (ou un orcu ou un homme sauvage) ou un message donné à Salomon par sa sœur la Sybille (la savante). Max Caisson, un démologue, s’est arrêté dessus dans une analyse de l’invention de la technique. Se déplaçant comme un cavalier sur l’échiquier, il analyse la relation d’une cire « perdue » jusqu’à arriver à la photographie. Voici un récit depuis l’Afretu (plaine de Figari) :
Le roi Salomon avait eu l'idée du fromage, mais le lait ne caillait pas, le fromage ne se formait pas. Il envoya donc un messager auprès de sa sœur la Sibylle pour lui demander la façon dont il fallait s'y prendre pour que le fromage « prenne », et la Sibylle indiqua au messager ce qu'est la présure, comment s'en procurer et comment s'en servir. Salomon ayant fait le fromage, il restait le petit-lait dont il ne savait que faire. Alors, de nouveau, il envoya son messager auprès de sa sœur la Sibylle, et la Sibylle lui apprit comment on fait le brocciu. Mais il restait encore un résidu : a ciaba. Cette fois le messager ne rapporta aucune information sur l'utilisation qu'on peut faire de a ciaba. On sait cependant qu'avec a ciaba, on peut faire de la cire, mais le secret est resté, et même ceux qui prétendent l'avoir percé n'en disent rien.
(Max CAISSON, 2003 : 2)
Première remarque : a ciaba possède une puissance latente de production d’une cire lactique issue du reste.
De la Sybille, Max Caisson nous ouvre deux voies pour comprendre ce récit : le refus de la vie éternelle et de l’inceste.
Développons :
Si la première mention de la Sybille est chez Héraclite, elle a été intégrée à l'univers théologique du christianisme où elle annoncerait la venue du Christ et le Jugement dernier. Elle figure à ce titre dans le Dies irae de l'office des morts : Dies irae, dies illa / Solvet saeclum in favilla / Teste David cum Sibylla. C’est donc une figure communicante, prophétesse bien que païenne.
La cire, elle, est l’objet d’un usage spécifique dans l’ex-voto chrétien, fonctionnant selon une équivalence de forme et de masse – « poids de cire » ou « contrepoids » – : en un mot, une substitution (souvent d’un corps). Toute une pensée de la Résurrection métaphysique dans la culture judéo-chrétienne transparaît par la relation entre la cire et le poids par la question de l’«’Eben» (אֶבֶןl) hébraïque, qui s’illustre dans les boti della Basilica della Santissima Annunziata (Florence), ces images-statues de cire au poids :
Tu auras un poids ('Eben) exact et juste, tu auras un épha exact et juste, afin que tes jours se prolongent dans le pays que l’Éternel, ton Dieu, te donne.
(DEUTÉRONOME 25:15)
La cire est ce qui délivre la lumière, mais, si elle est la matière par excellente de l’imagement, c’est qu’elle est le matériau de l’empreinte par le « contact » : elle scelle une mémoire en creux, c’est ce que l’on appelle une valeur indicielle. Dans le Christianisme, l’héritage mnémonique des imagines latines (les masques de cire des défunts) se cumule avec une pensée Trinitaire, donc Incarnatoire, de l’iconicité chrétienne (le Fils est le Père, mais autrement ; l’image est l’être, mais autrement) dans laquelle se maintient une puissance. Ainsi se forme un écart qui se fait dans la « chair », dans la « matière », ce qui nous pose la question de l’« aître » (wesen chez Heidegger) un espace d’apparaître, de dévoilement, où l’Être se manifeste et où le monde prend sens (un espace vide où demeurer). C’est ce qu’étudie Marie-José Mondzain, de l’icône à la photographie.
Cette cire lactique perdue nous permettrait donc d’accéder à une circularité temporelle permise par la substitution des corps face à la mort : un temps messianique (on y reviendra).
Comme la ricotta, le brocciu corse est un fromage de lactosérum, dit petit-lait. Une fois le premier fromage fait, le lactosérum est récupéré, mélangé avec du lait, chauffé, signé, formé. Ces fromages de petit-lait possèdent un patrimoine mythologique important dans le bassin méditerranéen, la révélation de la recette alternant d’un conflit entre un berger et u diavulu (ou un orcu ou un homme sauvage) ou un message donné à Salomon par sa sœur la Sybille (la savante). Max Caisson, un démologue, s’est arrêté dessus dans une analyse de l’invention de la technique. Se déplaçant comme un cavalier sur l’échiquier, il analyse la relation d’une cire « perdue » jusqu’à arriver à la photographie. Voici un récit depuis l’Afretu (plaine de Figari) :
Le roi Salomon avait eu l'idée du fromage, mais le lait ne caillait pas, le fromage ne se formait pas. Il envoya donc un messager auprès de sa sœur la Sibylle pour lui demander la façon dont il fallait s'y prendre pour que le fromage « prenne », et la Sibylle indiqua au messager ce qu'est la présure, comment s'en procurer et comment s'en servir. Salomon ayant fait le fromage, il restait le petit-lait dont il ne savait que faire. Alors, de nouveau, il envoya son messager auprès de sa sœur la Sibylle, et la Sibylle lui apprit comment on fait le brocciu. Mais il restait encore un résidu : a ciaba. Cette fois le messager ne rapporta aucune information sur l'utilisation qu'on peut faire de a ciaba. On sait cependant qu'avec a ciaba, on peut faire de la cire, mais le secret est resté, et même ceux qui prétendent l'avoir percé n'en disent rien.
(Max CAISSON, 2003 : 2)
Première remarque : a ciaba possède une puissance latente de production d’une cire lactique issue du reste.
De la Sybille, Max Caisson nous ouvre deux voies pour comprendre ce récit : le refus de la vie éternelle et de l’inceste.
Développons :
Si la première mention de la Sybille est chez Héraclite, elle a été intégrée à l'univers théologique du christianisme où elle annoncerait la venue du Christ et le Jugement dernier. Elle figure à ce titre dans le Dies irae de l'office des morts : Dies irae, dies illa / Solvet saeclum in favilla / Teste David cum Sibylla. C’est donc une figure communicante, prophétesse bien que païenne.
La cire, elle, est l’objet d’un usage spécifique dans l’ex-voto chrétien, fonctionnant selon une équivalence de forme et de masse – « poids de cire » ou « contrepoids » – : en un mot, une substitution (souvent d’un corps). Toute une pensée de la Résurrection métaphysique dans la culture judéo-chrétienne transparaît par la relation entre la cire et le poids par la question de l’«’Eben» (אֶבֶןl) hébraïque, qui s’illustre dans les boti della Basilica della Santissima Annunziata (Florence), ces images-statues de cire au poids :
Tu auras un poids ('Eben) exact et juste, tu auras un épha exact et juste, afin que tes jours se prolongent dans le pays que l’Éternel, ton Dieu, te donne.
(DEUTÉRONOME 25:15)
La cire est ce qui délivre la lumière, mais, si elle est la matière par excellente de l’imagement, c’est qu’elle est le matériau de l’empreinte par le « contact » : elle scelle une mémoire en creux, c’est ce que l’on appelle une valeur indicielle. Dans le Christianisme, l’héritage mnémonique des imagines latines (les masques de cire des défunts) se cumule avec une pensée Trinitaire, donc Incarnatoire, de l’iconicité chrétienne (le Fils est le Père, mais autrement ; l’image est l’être, mais autrement) dans laquelle se maintient une puissance. Ainsi se forme un écart qui se fait dans la « chair », dans la « matière », ce qui nous pose la question de l’« aître » (wesen chez Heidegger) un espace d’apparaître, de dévoilement, où l’Être se manifeste et où le monde prend sens (un espace vide où demeurer). C’est ce qu’étudie Marie-José Mondzain, de l’icône à la photographie.
Cette cire lactique perdue nous permettrait donc d’accéder à une circularité temporelle permise par la substitution des corps face à la mort : un temps messianique (on y reviendra).
Ensuite
Le fromage est lié aux notions d’enfantement et de gestation, notamment Aristote mettant en parallèle la fabrication du fromage et la formation de l'enfant dans le sein de sa mère, où le sperme est analogue de la présure. Certains ont d’ailleurs mis en avant la rotondité du fromage comme témoignant de sa perfection. Rotondité qui nous amène autant au récit d’Aristophane des Androgynes que de l’Adam Cosmique, dont les séparations provoquent le désir incestueux de reformation des corps déchirés, désormais sexués. Dans les deux cas, c’est bien le le désir qui conditionne l’agir de l’être, le besoin de reformer une totalité manquante.
Pourtant, contrairement au « couple », nous pouvons avancer que le fromage subit un processus de fermentation / gestation à partir de son propre « ensemencement » par la présure, produite par a caghjarella (la caillette, le lait dans l’estomac du cabris tué). Le fromage se fait seul, il est sujet à « l’autoreproduction ». A-sexué et intact comme l’androgyne, il est dans un temps fermé, circulaire comme sa forme, où passé et présent demeurent unis.
La cire lactique dont a ciaba est la source serait donc issue d’un processus d’autofertilisation préservant la perfection, contrairement à la cire du miel qui est une cire fécale, c'est-à-dire le déchet d’une consommation.
Dans cette conception, le refus de la transmission de la technique par la Sybille est le refus de l’inceste adelphique comme désir issu du manque de la totalité androgynal ; refus nous menant donc vers une sortie du temps circulaire de l’inceste pour aller vers le devenir.
Maintenant, faisons le point des conséquences de ce refus sur l’image :
Pourtant, contrairement au « couple », nous pouvons avancer que le fromage subit un processus de fermentation / gestation à partir de son propre « ensemencement » par la présure, produite par a caghjarella (la caillette, le lait dans l’estomac du cabris tué). Le fromage se fait seul, il est sujet à « l’autoreproduction ». A-sexué et intact comme l’androgyne, il est dans un temps fermé, circulaire comme sa forme, où passé et présent demeurent unis.
La cire lactique dont a ciaba est la source serait donc issue d’un processus d’autofertilisation préservant la perfection, contrairement à la cire du miel qui est une cire fécale, c'est-à-dire le déchet d’une consommation.
Dans cette conception, le refus de la transmission de la technique par la Sybille est le refus de l’inceste adelphique comme désir issu du manque de la totalité androgynal ; refus nous menant donc vers une sortie du temps circulaire de l’inceste pour aller vers le devenir.
Maintenant, faisons le point des conséquences de ce refus sur l’image :
- La cire, est le produit avorté dont la source, a ciaba, reste latente. Cire qui serait induite par l’autoreproduction, donc parfaite. Et comme ses prédécesseurs, elle serait un produit consommable.
- Une pensée de l’image à partir de cette cire lactique peut ne pas être si loin d’une pensée d’une consommation particulière : celle d’une assimilation de puissance sans ingestion.
- Avançons donc que la consommation de l’image d’une cire non lactique est donc une assimilation hantée de l’expérience du manque.
- Cette expérience se manifeste par l’écart qui nous pose la question de la photographie (l’inframince de Duchamp). De cela, faire de l’image, c’est imposer l’écart, la variabilité.
- Pour reprendre Paul Valéry, nous dirons que « le.a regardeur.euse d’image est fait.e de manque assimilé », nous portant vers une conscience de la perte.
- Mais de cette perte, finalement, se résout l’angoisse de la surmesure (übermass, l’excès de présence) face à un monde limité. Car la cire lactique ne permettrait plus le vide, épuiserait le stock, maintiendrait la circularité
- Cette conscience rend nécessaire le refus d’une recette entraînant une saturation du monde, qu’il nous faut donc substituer par une saturation d’images, provoquant des vides qui entraînent un devoir de mémoire, et donc, maintiennent le récit.
- L’image nous permet donc de mettre en œuvre le devenir par le manque, nous ouvrant à la jouissance de la mort.
- Nos êtres doivent êtres consumés, les images êtres consommés. C’est une nouvelle « kénose », un nouveau dépouillement, par la préservation du secret : une incarnation.
- Notre intérêt commun est donc littéralement un intérêt de latence, donc de résistance, afin de permettre au monde d’advenir.
Sortir de l'impasse de la représentation
Éclaircis par le brocciu, revenons au films :
- Dans Vatican II : « le temps ouvert par la Croix de Jésus est le temps des figurants », cela signifie que chaque figurant possède désormais le potentiel incarnatif. Celui-ci ne dépend plus de sa piété, mais de sa condition désirante, qui est inversement proportionnelle à sa puissance d’actorialité et à son autorité. Comment ne pas penser à la lutte des classes ?
- À travers Orson Welles, Pier Paolo Pasolini ne crée pas seulement des tableaux vivants, mais il actualise une scène d’un passé dans la variation d’un présent. Par cela, le cinéma remplace la peinture ; le figurant l’acteur ; Dismas le Christ ; la Révolution la Résurrection ; les derniers remplacent les premiers, etc. C’est cela, le geste de Pasolini.
- Ce geste, anachronique, prend forme dans la possibilité du montage : dans l’écart à l’autoreproduction qui nous ouvre à la variabilité par le refus du cycle : c’est la Révolution.
- Car la Révolution — du latin chrétien revolutio, « retour, retournement (sur soi) », lui-même dérivé de revolvere, « rouler en arrière ; dérouler » — la Révolution, ne s’agit-il pas, plutôt que d’une rotation, d’un geste de déroulement ?
- Et pour acter pour acter son déroulement, pour ouvrir son temps, le figurant devait impérativement mourir sur la Croix. Il devait produire une variable, et là est le lien avec Les mangeurs de Ricotta, c’est la vanité latente caché dans le fromage.
Pour nuancer, citons Gilles Deleuze. Pour lui, le désir est une force productive qui engendre du réel car il est un processus en mouvement qui crée des agencements nouveaux : c’est ce qu’il appelle une ontologie de la différence.
Le film de Pier Paolo Pasolini en est une application. En cela ; dirait Deleuze, il est une résistance. Car résister, c'est refuser l'identification à des formes fixes du pouvoir pour favoriser des lignes de fuite. La résistance est donc ontologique, productrice de devenirs dans le mouvement même du réel.
Créer, c’est cela : c’est résister, produire des devenirs, des espaces où s’insérer. Loin de la hantise d’un insaisissable, les images nous portent vers la révolution ; et la Sybille refuse l’autorité de l’ultime information pour permettre la création.
Finissons par le film :
La Ricotta, pour nous, traduit la possibilité révolutionnaire qui nous sort de l’impasse cyclique de la représentation. Pier Paolo Pasolini génère ainsi des espaces de l’aître et de l’apparaître, comme une unification des concepts de « nachleben » warburgien (« survivance » ou « vie post-mosterm ») avec le « dasein » heideggerien (l'Être-jeté) ou l’essezza de Rinatu Coti. Ainsi, il est l’une des plus belles incarnation de la définition benjaminienne de l’image dialectique qui « est ce en quoi l’Autrefois rencontre le Maintenant dans un éclair pour former une constellation » (Paris, capitale du XIXe siècle).