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Particularisme corse : les deux conceptions



L'Assemblée de Corse a 40 ans cette année. L'occasion d'établir un bilan de l'outil politique, mais aussi de se souvenir du statut particulier qui l'a instituée. Dominique Taddei, qui en fut un des artisans majeurs, se prêterait bien à l'exercice commémoratif mais il préfère éclairer les temps présents et à venir. Pour nous aider à appréhender les prochains mois, il brosse une rapide présentation des deux conceptions du particularisme corse qui continuent de s'opposer au sein de la République française.



Depuis plus de 60 ans que l’idée d’un statut particulier pour la Corse a été avancée dans l’espace public, deux conceptions antagonistes du particularisme corse s’opposent de façon plus ou moins explicite.
 

L'approche géographique restrictive

L’approche géographique restrictive du particularisme est celle de la plus grande partie de la droite française, nationale et insulaire, et de l'ex-Mouvement des Radicaux de Gauche, regroupé autour de François Giacobbi. Pour les tenants de cette conception, les difficultés de l’île et de la majeure partie de sa population tiennent essentiellement à l’évidence géographique : celle d’une île, qui génère des handicaps, lesquels peuvent légitiment justifier, au nom de la « continuité territoriale », des contreparties de la part de l’Etat, un peu comme un boiteux a le droit à des béquilles.
Après tout, le Consulat avait établi un statut fiscal particulier, et la Troisième République, avec Clemenceau, Ministre de l’Intérieur, avait fait voter une prime d’insularité… Pour les tenants d’un particularisme restreint, il y a évidemment une situation particulière (l’insularité) ou, à la rigueur, deux (le côté montagnard), mais qui est déjà moins spécifique. On peut, même de ci de là, concéder tel ou tel particularisme historique ou culturel, qui pourrait justifier une solution particulière. Quelques particularités peuvent s’additionner, elles ne peuvent en rien justifier de sortir du droit commun d’une République « une et indivisible », où l’égalité rime le plus possible avec l’uniformité, le droit à la différence permettant au mieux des solutions ad hoc, quand on ne peut plus faire autrement.

L'approche systémique

L’approche systémique du particularisme commence par réestimer l’importance et le nombre des particularités, nécessitant un traitement spécifique. Elle est le fait évidemment de tous les courants identitaires et nationalistes, mais aussi de la majorité des partis de gauche, socialistes et parfois communistes. Pour tous ces courants :
  • Déjà, sur le plan géographique, il faut partir du fait que la Corse est une île continentale, et non pas une île océanique, à la différence de Madère, des Açores, de Tahiti ou pourquoi pas de l’île de Pâques : elle est une île entourée de terres de tout côté (ou presque), d’où il découle une relation aux autres spécifique, souvent déchirée entre des influences contradictoires.
  • D’autant plus qu’il ne suffit pas de parler de « montagne dans la mer », ce qui est aussi le cas d’îles volcaniques, comme la Réunion. En Corse, la montagne est haute et granitique, elle coupe en deux la terra di quà et la terra di là, pire, elle morcelle en vallées et pieve, qui ne communiquent que difficilement. En Corse, la géographie physique sépare plus qu’elle n’unifie.
  • Mais il y a aussi l’histoire qui lui confère d’autres particularités essentielles. En retenant l’ordre chronologique, la Corse est deux fois romaine :  son appartenance à l’Empire lui a donné sa langue et bien des fondements de son droit coutumier ; son allégeance au Pape, sa religion, longtemps quasi exclusive. Pendant le dernier millénaire, elle a presque toujours été sous la souveraineté d’une puissance latine, les trois premiers quarts du temps, une cité du Nord de l’Italie, Pise, puis Gênes, le dernier quart, la France. Mais, entre temps, au milieu du XVIIIème siècle, les Corses ont mené la première et la plus longue Révolution des Lumières et, durant ces 40 ans, le mot d’ordre principal de cette lutte de libération nationale, d’Erasmo Orticoni à Pasquale Paoli, a justement été « Fà l’unione ».
  • C’est dire que dans la culture politique des Corses, leur détermination historique d’union finit par l’emporter sur les déterminants géographiques qui les divisent.
  • Enfin, et surtout, toutes ces particularités, géographiques, historiques et culturelles ne s’additionnent pas mais elles interagissent les unes avec les autres, elles revêtent un caractère multiplicatif, dont il résulte un système sociétal particulier.
  • C’est pourquoi il est illusoire de vouloir répondre séparément à chaque particularité de la société corse. Et si l’on veut s’intéresser à l’ensemble de ce système bien particulier, dans le cadre d’un état de droit, il faut bien en passer par un statut particulier.

Aujourd’hui, comme il y a 40 ans, un statut particulier ne peut certes jamais apporter une réponse suffisante, mais il est toujours un point de passage nécessaire.
 
Dimanche 17 Avril 2022
Dominique Taddei


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