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Forse chì e parsone incù quale hè più faciule à parlà corsu, sò i zitelli



Iè, forse chì ghjè più faciule à parlà corsu incù i zitelli... Avec délicatesse, Mattea Riu continue son introspection linguistique et ausculte notre rapport à la langue corse, nos contradictions, nos angoisses, nos désirs. Entre texte et photo, elle essaie de comprendre nos étranges mécanismes collectifs, mais tente surtout de prendre - et de donner - courage et plaisir.



Mattea Riu, 2025
Mattea Riu, 2025
En travaillant avec des enfants à Marseille, je me surprenais parfois à leur parler corse. Peut-être parce qu’il s’agit pour moi d’une langue d’enfance, de l’école, aussi. J'entrais dans la salle avec mes petits et je leur disais "Allez, pusatevi", je courais dans la cour après l’une d’entre elles en lui disant "veni quì". Il y avait beaucoup de tendresse dans ces mots que je leur adressais, que je prononçais avant même de me souvenir qu'ils ne les comprenaient pas. Ghjacumina l’écrit dans un article, "Hè vera chì un ciucciu ùn hà mai ghjudicatu a qualità linguistica di u parintatu, è ch'ellu pò scioglie, da vicinu, a lingua di quelli chì si vergognanu di sbaglià si."

La langue qu'on hésite à parler, c'est comme chanter sans oser le faire à pleine voix. On a peur d'être désaccordée, de prononcer un è ou un o trop haut ou trop bas, de déplacer l'accent tonique, ne pas être en rythme, peur de parler faux. Comment peut-elle être parfois si lourde à tenir, et d'autres fois si légère sur les lèvres, spontanée comme le son d'un oiseau qui s'envole? Il y a du passé dans les mots, qu'on le veuille ou non, il y a des fantômes, que l'on craint peut-être de malmener.

Je pense à elle, notre langue, et je ne peux pas m'empêcher de la voir si simple et joyeuse, sage, qui veille sur nous, qui veut nous faire rire. Je l'imagine flottante entre les bouches, désolée par la difficulté que nous éprouvons à nous écouter la parler, à tenter de l'accueillir à nouveau dans notre quotidien, à la garder proche de nous.

C'est sûrement parce que cette langue est passée du champ privé au champ public, qu'elle revêt cet aspect un peu représentatif, performatif. Elle n'apparaît aujourd'hui plus que dans les sphères dont elle était originellement exclue, mais a disparu de la sphère intime, qu'elle habitait avec évidence. On la parle dans les médias, mais plus à nos frères et soeurs. On la parle dans un spectacle, mais moins avec ses voisins. Et quand on s'y essaie, si c'est nouveau pour nous, on a l'impression de trouer le réel, de se déguiser, de créer du sous-entendu, par l'usage même de cette langue. Créer une nouvelle intentionnalité.

Je réfléchis à l'intention que peut avoir un Etat qui supprime des langues. Questions d'efficacité? Je me dis : il n'y a que pour recevoir et exécuter des ordres qu'une langue a besoin d'être efficace, au point d'annihiler les autres.

Et quand je regarde les enfants de Marseille jouer dans la cour, je sais que moi aussi, je joue, ghjocu à fà a prufessore.

Tennera è luminosa hè la mio lingua, quand’a parlu incù zitellucci. Quand’a parlu cume in li mio ricordi, senza paura nè bravura, senza fastidiu in u mo pettu. Smintinchendu a so carica, lasciendu e parulle cullà in a mo cannella.

 
Jeudi 28 Août 2025
Mattea Riu


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