Amandine Battini, 2016
"La relation diplomatique consiste en une négociation pour résoudre sans violence des problèmes de cohabitation entre communautés. Elle exige un terrain d’entente, des interprètes, un langage commun et des moyens de pression. Le problème est d’établir, par mission diplomatique, un contact pour converser avec l’autre, l’étranger, c’est-à-dire au moins établir une communication, faire passer un message, lui signifier des limites. (...) Animaliser la politique, c’est ça que j’appelle la diplomatie nous dit Morizot. On a besoin d’individus capables de s’hybrider, d’humains capables d’accéder aux formes de la politique animale, ce sont les diplomates, ils doivent être compétents et bien parler la langue, celle des limites d’usage du territoire [1]. »
Pour bien parler cette langue, l’ambassadeur doit avoir fait un travail d’enquête sur les usages et les conflits des territoires communs.
Pour bien parler cette langue, l’ambassadeur doit avoir fait un travail d’enquête sur les usages et les conflits des territoires communs.
[1] Baptiste Morizot, Les Diplomates. Cohabiter avec les loups sur une autre carte du vivant, Éditions Wildprojet, 2016.
Dispositif diplomatique
Faisant suite à un entretien filmé avec Camille de Toledo [2], la question fut de savoir s’il était pertinent d’imaginer que ces individus et collectifs engagés pour la préservation des biens communs et du vivant ne soient plus seulement des représentants mais des diplomates. C’est-à-dire des traducteurs, pisteurs, enquêteurs, mandataires, fondés de pouvoirs végétaux et animaliers. Des ambassadeurs potentiels des milieux de vie. Camille de Toledo a coordonné les Auditions du parlement de Loire, ouvrage collectif recensant des communications évaluées et validées par une commission instituante, elle même utilisant la fiction instituante du parlement de Loire [3] faisant suite au concept de Bruno Latour de « dispositif diplomatique » comme méthode de transformation du monde.
Il faut entendre par instance diplomatique une institution au sens large qui, selon Alessandro Pignocchi et Philippe Descola, « englobe l’ensemble des structures, implicites ou explicites, qui organisent la vie d’un collectif. […] Institution prise dans le sens de structure collective au sein de laquelle émergent, convergent et se stabilisent des subjectivités, des formes de vie et des imaginaires [4]». Ces auteurs interrogent, en effet, la nécessité de se doter d’institutions représentatives du mouvement émancipateur pour une jurisprudence de la Terre. La fiction d’une telle institution, appelée « Ambassade des communs », a fait l’objet d’une série d’auditions, lancée en février 2023 à l’Académie du climat, dans le cadre de l’Université du bien commun, avec Philippe Descola et Frédérique Aït Touati.
Au-delà de l’hypothèse initiale que l’Ambassade des communs pouvait être le lieu d’un changement de paradigme vers des pratiques artistiques plurielles et écoresponsables, une forme de légitimation éditoriale et l’Université du bien commun à Paris ont permis de formuler une hypothèse plus ambitieuse : par décentrements successifs, hors de son contexte de base [5].
L’Ambassade des communs pourrait se déployer et s’étendre du champ artistique vers celui de l’écopolitique, pour devenir une instance diplomatique en lien avec les recherches et les structures dédiées aux biens communs, notamment ceux essentiels à la vie humaine et non humaine. Et ceci, selon une vision perspectiviste des écosystèmes, en rupture avec le point de vue souvent ethnocentré des multiples conventions, sommets ou congrès relevant de ce qui est normativement nommé « diplomatie de la nature » ou « diplomatie écologique ».
Il faut entendre par instance diplomatique une institution au sens large qui, selon Alessandro Pignocchi et Philippe Descola, « englobe l’ensemble des structures, implicites ou explicites, qui organisent la vie d’un collectif. […] Institution prise dans le sens de structure collective au sein de laquelle émergent, convergent et se stabilisent des subjectivités, des formes de vie et des imaginaires [4]». Ces auteurs interrogent, en effet, la nécessité de se doter d’institutions représentatives du mouvement émancipateur pour une jurisprudence de la Terre. La fiction d’une telle institution, appelée « Ambassade des communs », a fait l’objet d’une série d’auditions, lancée en février 2023 à l’Académie du climat, dans le cadre de l’Université du bien commun, avec Philippe Descola et Frédérique Aït Touati.
Au-delà de l’hypothèse initiale que l’Ambassade des communs pouvait être le lieu d’un changement de paradigme vers des pratiques artistiques plurielles et écoresponsables, une forme de légitimation éditoriale et l’Université du bien commun à Paris ont permis de formuler une hypothèse plus ambitieuse : par décentrements successifs, hors de son contexte de base [5].
L’Ambassade des communs pourrait se déployer et s’étendre du champ artistique vers celui de l’écopolitique, pour devenir une instance diplomatique en lien avec les recherches et les structures dédiées aux biens communs, notamment ceux essentiels à la vie humaine et non humaine. Et ceci, selon une vision perspectiviste des écosystèmes, en rupture avec le point de vue souvent ethnocentré des multiples conventions, sommets ou congrès relevant de ce qui est normativement nommé « diplomatie de la nature » ou « diplomatie écologique ».
[3] Camille de Toledo, Le fleuve qui voulait écrire. Les auditions du parlement de Loire, Les Liens qui libèrent, 2021.
[4] Alessandro Pignocchi et Philippe Descola, Ethnographies des mondes à venir, Seuil, 2022.
[5] « L’Ambassade des communs », commande artistique de l’Action Nouveaux Commanditaires, Maison des Arts de l’Université Bordeaux-Montaigne, Pessac, 2016. www.nouveauxcommanditaires.eu/fr/home
[5] « L’Ambassade des communs », commande artistique de l’Action Nouveaux Commanditaires, Maison des Arts de l’Université Bordeaux-Montaigne, Pessac, 2016. www.nouveauxcommanditaires.eu/fr/home
Ambassade de la MétaNation
Parlons maintenant de l’Ambassade de la MétaNation, dispositif artistique créé en 2018 au Centre Pompidou [6], en collaboration avec le Quebracho Théâtre de Monica Espina, qui a séjourné aussi à Bruxelles, Porto ou Beyrouth, plus ou moins longtemps, sur ou sans invitation [7] .
En s’appropriant les fictions déjà constituées de nation, d’État-nation, de peuple, l’ambassade les a transformées en une fiction potentielle : la MétaNation, qui s’autodéfinit au fur et à mesure de l’accroissement de sa communauté solidaire et des récits singuliers qu’elle produit [8]. Elle a été dotée d’une « ambassade », institution diplomatique qui lui permet de disposer des outils collectifs (dispositif spatialisé, charte, protocoles et gouvernance) dans l’objectif de « décomposer et recomposer des mondes » et d’acquérir potentiellement des capacités d’influence, voire des pouvoirs instituants.
Parmi ces outils, les Anarchives de la MétaNation constituent le corpus des activités de l’ambassade, enregistrées, compilées et évolutives ; elles sont diffusées successivement dans ses lieux de résidence et ancrent ses valeurs dans l’imaginaire social, potentiellement dans le réel.
«Une cosmopolitique nouvelle, écrit Philippe Descola, pourrait prendre la forme d’un archipel mondial d’États sobres, fonctionnant selon le principe d’une démocratie continue, c’est-à-dire établie sur la participation personnelle des citoyens à l’action publique. Les États abriteraient ici et là en leur sein, un tissu de communes égalitaires, pouvant être organisées autour de la défense de “communs” ayant statut de personnes morales [9] ».
Une telle idée de cosmopolitique, si bien théorisée par Isabelle Stengers, raisonne évidemment fortement avec l’idée de MétaNation qui serait le passage vers l’au-delà du peuple, vers la figure d’un peuple pluriel déployant un autre horizon du monde où toutes les formes de vie apprennent à cohabiter. La MétaNation pourrait être cette transition dans laquelle vient se fondre toute figure d’unification planétaire et de co-appartenance transnationale. En fait, elle serait le mouvement vers une cosmo-citoyenneté inclusive des non-humains.
En s’appropriant les fictions déjà constituées de nation, d’État-nation, de peuple, l’ambassade les a transformées en une fiction potentielle : la MétaNation, qui s’autodéfinit au fur et à mesure de l’accroissement de sa communauté solidaire et des récits singuliers qu’elle produit [8]. Elle a été dotée d’une « ambassade », institution diplomatique qui lui permet de disposer des outils collectifs (dispositif spatialisé, charte, protocoles et gouvernance) dans l’objectif de « décomposer et recomposer des mondes » et d’acquérir potentiellement des capacités d’influence, voire des pouvoirs instituants.
Parmi ces outils, les Anarchives de la MétaNation constituent le corpus des activités de l’ambassade, enregistrées, compilées et évolutives ; elles sont diffusées successivement dans ses lieux de résidence et ancrent ses valeurs dans l’imaginaire social, potentiellement dans le réel.
«Une cosmopolitique nouvelle, écrit Philippe Descola, pourrait prendre la forme d’un archipel mondial d’États sobres, fonctionnant selon le principe d’une démocratie continue, c’est-à-dire établie sur la participation personnelle des citoyens à l’action publique. Les États abriteraient ici et là en leur sein, un tissu de communes égalitaires, pouvant être organisées autour de la défense de “communs” ayant statut de personnes morales [9] ».
Une telle idée de cosmopolitique, si bien théorisée par Isabelle Stengers, raisonne évidemment fortement avec l’idée de MétaNation qui serait le passage vers l’au-delà du peuple, vers la figure d’un peuple pluriel déployant un autre horizon du monde où toutes les formes de vie apprennent à cohabiter. La MétaNation pourrait être cette transition dans laquelle vient se fondre toute figure d’unification planétaire et de co-appartenance transnationale. En fait, elle serait le mouvement vers une cosmo-citoyenneté inclusive des non-humains.
[6] Festival Hors-Pistes #13, « La Nation et ses Fictions », Centre Pompidou, Paris, 2018. https://www.centrepompidou.fr/cpv/resource/cXERy7G/rAgx4Kz ; http://www.quebrachotheatre.com/amn
[7] L’Ambassade de la MétaNation dispose à ce jour de deux ambassadrices, Monica Espina et Claire Dehove, d’un ambassadeur et un chancelier à Beyrouth, Ricardo Mbarko et Mustapha Yamout Zico, d’un vice-consul à Moscou, Nicolas Audureau, de plusieurs chargé·es d’affaires (diplomatiques, stratégiques, imagées, etc.) et de 800 représentant·es qui, depuis leur propre subjectivité, pollinisent les « valeurs humaines, animales, végétales et élémentaires » de la MétaNation.
[9] Alessandro Pignocchi et Philippe Descola, ibid.
Déléguer la capacité d’agir
En tant que corps diplomatique, l’Ambassade de la MétaNation a fait du renard son ambassadeur animal et son emblème, pour mener sa vie transfrontalière. Lassé de son image-cliché de prédateur pernicieux et nuisible, le renard entreprend de nombreux Voyagements [10] à l’issue desquels il livre des indices sur ses stratégies pour déjouer les techniques de pistage et les pièges des humains. À cet égard, il cultive son intelligence diplomatique, à l’instar du loup avec lequel il sait habilement interagir dans les environnements sauvages, pour initier des palabres interespèces ici, là et ailleurs.
Avec la délégation polyglotte des ambassadrices à Beyrouth, le renard a accompli son Voyagement 7 par la découverte de la biodiversité du micro-jardin planétaire de l’artiste Charbel Samuel Aoun [11]. À l’affût des camions bardés de messages improbables, il revenait dans les locaux de l’ambassade à la Zico House, pour réintégrer son statut d’image dans le KIT de Cartes Métanational, inducteur de récits recueillis pendant les entretiens-tests de Libanais·es autour de questions telles que l’entraide, l’Ubuntu, le Matzutake, l’hospitalité, les nomades, peuples des interstices, l’écosystème, les espèces compagnes, la décroissance, ou encore le loup diplomate…
Toutes ces personnes ont passé le rituel d’intégration et sont devenues à leur tour représentant·es de la MétaNation par délivrance du Document MétaNational, qui est un document de dés-identification engageant simplement à être fier de le détenir et à promouvoir diplomatiquement les valeurs humaines, animales, végétales et élémentaires de la MétaNation.
Il se peut que l’Ambassade apporte sa contribution à l’avènement d’une « communauté biotique qui dépasse l’universel humain et l’inclut », ainsi que l’appelle de ses vœux Baptiste Morizot. Celle-ci tente des relations induites par le point de vue biocentré et imagine des formes de délégation de la capacité d’agir des non-humains qui soient institutionnellement viables. La communauté des représentant·es de la MétaNation désire étendre sa solidarité aux non-humains, en apprenant à le faire, y compris dans une temporalité longue.
Avec la délégation polyglotte des ambassadrices à Beyrouth, le renard a accompli son Voyagement 7 par la découverte de la biodiversité du micro-jardin planétaire de l’artiste Charbel Samuel Aoun [11]. À l’affût des camions bardés de messages improbables, il revenait dans les locaux de l’ambassade à la Zico House, pour réintégrer son statut d’image dans le KIT de Cartes Métanational, inducteur de récits recueillis pendant les entretiens-tests de Libanais·es autour de questions telles que l’entraide, l’Ubuntu, le Matzutake, l’hospitalité, les nomades, peuples des interstices, l’écosystème, les espèces compagnes, la décroissance, ou encore le loup diplomate…
Toutes ces personnes ont passé le rituel d’intégration et sont devenues à leur tour représentant·es de la MétaNation par délivrance du Document MétaNational, qui est un document de dés-identification engageant simplement à être fier de le détenir et à promouvoir diplomatiquement les valeurs humaines, animales, végétales et élémentaires de la MétaNation.
Il se peut que l’Ambassade apporte sa contribution à l’avènement d’une « communauté biotique qui dépasse l’universel humain et l’inclut », ainsi que l’appelle de ses vœux Baptiste Morizot. Celle-ci tente des relations induites par le point de vue biocentré et imagine des formes de délégation de la capacité d’agir des non-humains qui soient institutionnellement viables. La communauté des représentant·es de la MétaNation désire étendre sa solidarité aux non-humains, en apprenant à le faire, y compris dans une temporalité longue.
En savoir plus
Artiste diplomate, ambassadrice des communs, ambassadrice de la MétaNation, Claire Dehove a créé en 2002 WOS/agence des hypothèses, collectif extradisciplinaire basé sur le co-autorat pour générer des dispositifs mobiles, tels que des campements-laboratoires, des KIT d’en-commun et des dispositifs contributifs tels que les Anarchives de la révolte ou les Anarchives de la migration. WOS investit des espaces socialisés pour y créer des micro-sociétés solidaires au sein d’institutions fictionnelles opératoires dans le réel, selon des protocoles et procédures d’ordre diplomatique. En 2015, WOS a lancé le Ministère des Affaires et Patentes humaines, animales, végétales et élémentaires (MAPHAVE), à Montréal, dont des habitants, des sans-abris et des autochtones sont les protagonistes. En 2016, à la demande des Nouveaux Commanditaires, WOS a créé l’Ambassade des communs à la Maison des Arts de l’Université Bordeaux Montaigne, à Pessac. Tout en étant encore animée par les étudiant·es et le personnel de l’université, l’ambassade s’est délocalisée à plusieurs reprises à Paris, à l’Espace Contexts de Belleville, puis au Rivoli 59, pour organiser tables rondes et ateliers-débats mêlant les problématiques de l’art, des sciences, de l’activisme écologique ou du droit. La juriste Marie Cornu a consacré un article à l’Ambassade des communs dans le second volume du Dictionnaire des Biens Communs. Au sein de cet ouvrage, ce projet artistique collaboratif est en position de dialoguer avec le vaste corpus interdisciplinaire des recherches les plus avancées sur les biens communs : voir Claire Dehove et Sylvia Fredriksson, Ambassade des Communs, in Marie Cornu, Fabienne Orsi et Judith Rochfeld (dir.), Dictionnaire des biens communs, PUF, 2021.