Il apparaît pertinent, nécessaire voire indispensable d’établir un distinguo très net entre identité et identitarisme.
L'identité est aussi nécessaire à l'individu que l'air qu'il respire, que l'eau qu'il boit, que la chair dont il se nourrit ou que ses ascendants, ses pairs, ses descendants avec lesquels il entre en dialogue. C'est tout cela qui lui permet de se construire pour ensuite se percevoir, se comprendre et s'accepter en tant que tel, singulier et substituable à nul autre, dans la durée.
Si l’identité n’existait pas, celle qui se développe et évolue avec la croissance et le déclin biologiques de l’être humain, l’on n’aurait besoin ni de psychiatres, ni de psychanalystes, ni peut-être de psychologues. Car l’identité demeure consubstantiellement liée à la psyché.
Comme il existe une identité individuelle existent des identités collectives : fondant le sentiment d’appartenance, elles remplissent une fonction d’étayage et de cohésion, elles procurent à celui ou celle qui les partage une stabilité émotionnelle ainsi que la satisfaction sécure de se savoir partie d’un tout plus vaste, à la fois protecteur et doté de pérennité. Ces identités peuvent être variées : générationnelles, familiales, genrées, professionnelles, ethniques, culturelles...
Pour terminer, l’identité, individuelle ou collective, n’est pas donnée une fois pour toutes : évolutive, douée d’une forme de plasticité qui garantit son adaptativité, elle pérégrine et se transforme en fonction de la somme et de la spécificité des expériences de chacun, tout en conservant une forme de permanence qui assure et garantit la conscience de soi au monde. Par nature, celle de l’individu demeure évidemment plus mouvante que celle d’un groupe.
L'identitarisme, lui, n'est qu'une armure prétendument chevaleresque dans laquelle se meut l'ombre de ce qui fut un être différent de tous les autres, initialement riche de sa singularité, devenu simple moulin à paroles ou à prières creuses avant de basculer, au pire, dans une logomachie tristement mimétique, d'une vacuité abyssale. Quand la tête devient une besace de vents furieux, le cataclysme de l'ouragan finit par tout balayer sur son passage. Y compris, le cas échéant, celui ou celle qui lâcha les chiens enragés de la tempête.
En Corse, la rupture de la poutre maîtresse ne date pas -seulement- de ces cinquante dernières années. C’est en tout cas mon avis. Au cours du XIXe siècle, la Corse a changé radicalement de culture. Ce phénomène est tu : quasi tabou, il semble comme effacé de la mémoire collective. Une relation de proximité, voire intime, avec la Péninsule voisine, remontant à la Préhistoire a pour ainsi dire disparu des écrans.
Certes demeurent les patronymes et les toponymes écrits à la mode toscane, soit l’italien véhiculaire d’avant l’indépendance italienne, mais l’occupation de l’île, en 1942, par 80000 militaires de l’Esercito mussolinien, n’aura pas peu contribué, fort malencontreusement, au rejet puis à l’oubli volontaire d’un lien historique que l’État, depuis la Révolution et Napoléon, s’échine à défaire. Peu de temps avant de décéder, Angelo Rinaldi n'a-t-il pas qualifié Bastia, dans une interview menée par Pierre Assouline, de « ville italienne » (https://youtu.be/yJpVQxyIzhk?si=B0a5MgMeqMm7JCp _ ) ?
Il est certes vrai que l’île a depuis tenté de survivre sur ses bases anthropologiques premières, en admettant et en subissant tout à la fois cette omission. Or c’est cette rétractation de survie sur les bases vernaculaires qui, précisément, aujourd'hui, menace de disparaître.
Nous avons pourtant eu cet hiver l’occasion de vivre une parenthèse contradictoire particulièrement heureuse. Romain Colonna l’a rappelé avec pertinence dans cette même revue : au Casone, papa Francesco a prononcé son homélie en langue italienne dans un climat de ferveur populaire, on aura alors pu découvrir que la foule comprenait en majorité les paroles du Saint-Père. Ce faisant, il a momentanément créé les conditions de l’assomption d’un multilinguisme pacifique et bienveillant fusionnant la présence de la langue historique du peuple corse, de la langue de la République (et de ses citoyens), et de celle à laquelle les Corses ont eu recours durant des siècles et grâce à laquelle ils ont pu se former, durant cette longue période, à des compétences de haut niveau.
Nous connaissons, bien entendu, la volonté et l’attitude de l'État, son dessein messianique conçu, mis en œuvre et poursuivi depuis la Révolution. Lequel a provoqué l’irruption d’un avatar linguistique : la langue corse, devenue par la position obtuse et unilatérale de tous les gouvernements de la République un enjeu central de la revendication culturelle et politique insulaire.
Mais intéressons-nous à présent aux principaux décideurs de l'économie corse, auxquels le système dominant convient apparemment bien et dont on peut à bon droit douter que les préoccupations métaphysiques de l'ontologie puissent attirer leur attention : on n’a plus aujourd’hui affaire à l’État et à ses grands objectifs agricoles (Somivac) et touristiques (Setco), dans le cadre d’un schéma d’aménagement qui prévoyait de façon totalement décomplexée l’importation massive de population continentale française pour fournir les cadres nécessaires et celle tout aussi conséquente de main d’œuvre bon marché venue du Maghreb.
Aujourd’hui, une oligarchie locale s’est rendue maîtresse de l’ensemble des circuits de distribution : centres commerciaux, compagnie de transports maritimes, sociétés de transport, central cash directement connectés aux grandes centrales hexagonales d’approvisionnement, le tout passant par le port de Marseille, à 180 kilomètres de nos côtes, tandis que Livourne, à 80 kilomètres de Bastia, pourrait nous mettre en relation directe avec des sources de fournitures alimentaires aux prix plus abordables, sans parler de l’opportunité offerte par la présence de raffineries de carburant à moindre distance…
Pendant que l’île produit 4% de ses besoins alimentaires, des paquebots de plus en plus grands fonctionnant au fioul lourd polluent sans vergogne le golfe d’Aiacciu : plus de deux cents navires à 22000 € la taxe d’accostage, que voilà une manne pour la Chambre de commerce dont la population ne perçoit en aucune manière le ruissellement. Pendant ce temps, quelques prestataires de service jouissent, eux, d’une aubaine qui leur permet de se constituer un bas de laine généreux. Ne parlons pas du monopole privé qu’instituera la gestion de l’usine de sur-tri de Monte, sans doute bientôt complété par un marché captif du transport des déchets.
Bref, une économie du cargo, aux mains de dirigeants corses, s’est mise en place qui vomit ses produits finis dans des centres commerciaux pour lesquels, dans certains cas, on a même construit ex nihilo des zones d'habitation, et donc de consommateurs, à disposition. Dans L’Énergie de l’État (La Découverte, Paris, 2022), Jean-François Bayart explique que la modernité néo-libérale inscrit la plupart des sociétés humaines actuelles dans le paradigme d’une triangulation dont les trois sommets sont occupés par l’universalisation du principe constitutif des États-nations, l’intégration multidimensionnelle du globe et la généralisation des idéologies identitaristes.
La Corse s’inscrit pleinement dans ce schéma sous le double signe du veau d’or et du bouc-émissaire. L’État-nation assure le laminage de l’identité collective d’un peuple via la destruction de ses ressources linguistiques, culturelles et sociales, en dépossédant de surcroît ses enfants de l’accès à la propriété sur la terre même des ancêtres ; les mouvements néo-libéraux radicalement racistes tentent d’accaparer à leur profit une religiosité populaire multiséculaire, transformant le paradigme universaliste de la valeur sacrée de la vie humaine en facteur de tri sélectif ; les décideurs locaux, quant à eux, ont enfourché sans état d’âme le cheval psychopompe de la marchandisation de tout ce qui peut l’être.
Avec quels capitaux ? Il paraît que l'argent n'a pas d'odeur. Une chose est sûre, il n'a pas d'âme.
Mais il peut naître et se reproduire au bout de celle d'un fusil à canon scié.
L'identité est aussi nécessaire à l'individu que l'air qu'il respire, que l'eau qu'il boit, que la chair dont il se nourrit ou que ses ascendants, ses pairs, ses descendants avec lesquels il entre en dialogue. C'est tout cela qui lui permet de se construire pour ensuite se percevoir, se comprendre et s'accepter en tant que tel, singulier et substituable à nul autre, dans la durée.
Si l’identité n’existait pas, celle qui se développe et évolue avec la croissance et le déclin biologiques de l’être humain, l’on n’aurait besoin ni de psychiatres, ni de psychanalystes, ni peut-être de psychologues. Car l’identité demeure consubstantiellement liée à la psyché.
Comme il existe une identité individuelle existent des identités collectives : fondant le sentiment d’appartenance, elles remplissent une fonction d’étayage et de cohésion, elles procurent à celui ou celle qui les partage une stabilité émotionnelle ainsi que la satisfaction sécure de se savoir partie d’un tout plus vaste, à la fois protecteur et doté de pérennité. Ces identités peuvent être variées : générationnelles, familiales, genrées, professionnelles, ethniques, culturelles...
Pour terminer, l’identité, individuelle ou collective, n’est pas donnée une fois pour toutes : évolutive, douée d’une forme de plasticité qui garantit son adaptativité, elle pérégrine et se transforme en fonction de la somme et de la spécificité des expériences de chacun, tout en conservant une forme de permanence qui assure et garantit la conscience de soi au monde. Par nature, celle de l’individu demeure évidemment plus mouvante que celle d’un groupe.
L'identitarisme, lui, n'est qu'une armure prétendument chevaleresque dans laquelle se meut l'ombre de ce qui fut un être différent de tous les autres, initialement riche de sa singularité, devenu simple moulin à paroles ou à prières creuses avant de basculer, au pire, dans une logomachie tristement mimétique, d'une vacuité abyssale. Quand la tête devient une besace de vents furieux, le cataclysme de l'ouragan finit par tout balayer sur son passage. Y compris, le cas échéant, celui ou celle qui lâcha les chiens enragés de la tempête.
En Corse, la rupture de la poutre maîtresse ne date pas -seulement- de ces cinquante dernières années. C’est en tout cas mon avis. Au cours du XIXe siècle, la Corse a changé radicalement de culture. Ce phénomène est tu : quasi tabou, il semble comme effacé de la mémoire collective. Une relation de proximité, voire intime, avec la Péninsule voisine, remontant à la Préhistoire a pour ainsi dire disparu des écrans.
Certes demeurent les patronymes et les toponymes écrits à la mode toscane, soit l’italien véhiculaire d’avant l’indépendance italienne, mais l’occupation de l’île, en 1942, par 80000 militaires de l’Esercito mussolinien, n’aura pas peu contribué, fort malencontreusement, au rejet puis à l’oubli volontaire d’un lien historique que l’État, depuis la Révolution et Napoléon, s’échine à défaire. Peu de temps avant de décéder, Angelo Rinaldi n'a-t-il pas qualifié Bastia, dans une interview menée par Pierre Assouline, de « ville italienne » (https://youtu.be/yJpVQxyIzhk?si=B0a5MgMeqMm7JCp _ ) ?
Il est certes vrai que l’île a depuis tenté de survivre sur ses bases anthropologiques premières, en admettant et en subissant tout à la fois cette omission. Or c’est cette rétractation de survie sur les bases vernaculaires qui, précisément, aujourd'hui, menace de disparaître.
Nous avons pourtant eu cet hiver l’occasion de vivre une parenthèse contradictoire particulièrement heureuse. Romain Colonna l’a rappelé avec pertinence dans cette même revue : au Casone, papa Francesco a prononcé son homélie en langue italienne dans un climat de ferveur populaire, on aura alors pu découvrir que la foule comprenait en majorité les paroles du Saint-Père. Ce faisant, il a momentanément créé les conditions de l’assomption d’un multilinguisme pacifique et bienveillant fusionnant la présence de la langue historique du peuple corse, de la langue de la République (et de ses citoyens), et de celle à laquelle les Corses ont eu recours durant des siècles et grâce à laquelle ils ont pu se former, durant cette longue période, à des compétences de haut niveau.
Nous connaissons, bien entendu, la volonté et l’attitude de l'État, son dessein messianique conçu, mis en œuvre et poursuivi depuis la Révolution. Lequel a provoqué l’irruption d’un avatar linguistique : la langue corse, devenue par la position obtuse et unilatérale de tous les gouvernements de la République un enjeu central de la revendication culturelle et politique insulaire.
Mais intéressons-nous à présent aux principaux décideurs de l'économie corse, auxquels le système dominant convient apparemment bien et dont on peut à bon droit douter que les préoccupations métaphysiques de l'ontologie puissent attirer leur attention : on n’a plus aujourd’hui affaire à l’État et à ses grands objectifs agricoles (Somivac) et touristiques (Setco), dans le cadre d’un schéma d’aménagement qui prévoyait de façon totalement décomplexée l’importation massive de population continentale française pour fournir les cadres nécessaires et celle tout aussi conséquente de main d’œuvre bon marché venue du Maghreb.
Aujourd’hui, une oligarchie locale s’est rendue maîtresse de l’ensemble des circuits de distribution : centres commerciaux, compagnie de transports maritimes, sociétés de transport, central cash directement connectés aux grandes centrales hexagonales d’approvisionnement, le tout passant par le port de Marseille, à 180 kilomètres de nos côtes, tandis que Livourne, à 80 kilomètres de Bastia, pourrait nous mettre en relation directe avec des sources de fournitures alimentaires aux prix plus abordables, sans parler de l’opportunité offerte par la présence de raffineries de carburant à moindre distance…
Pendant que l’île produit 4% de ses besoins alimentaires, des paquebots de plus en plus grands fonctionnant au fioul lourd polluent sans vergogne le golfe d’Aiacciu : plus de deux cents navires à 22000 € la taxe d’accostage, que voilà une manne pour la Chambre de commerce dont la population ne perçoit en aucune manière le ruissellement. Pendant ce temps, quelques prestataires de service jouissent, eux, d’une aubaine qui leur permet de se constituer un bas de laine généreux. Ne parlons pas du monopole privé qu’instituera la gestion de l’usine de sur-tri de Monte, sans doute bientôt complété par un marché captif du transport des déchets.
Bref, une économie du cargo, aux mains de dirigeants corses, s’est mise en place qui vomit ses produits finis dans des centres commerciaux pour lesquels, dans certains cas, on a même construit ex nihilo des zones d'habitation, et donc de consommateurs, à disposition. Dans L’Énergie de l’État (La Découverte, Paris, 2022), Jean-François Bayart explique que la modernité néo-libérale inscrit la plupart des sociétés humaines actuelles dans le paradigme d’une triangulation dont les trois sommets sont occupés par l’universalisation du principe constitutif des États-nations, l’intégration multidimensionnelle du globe et la généralisation des idéologies identitaristes.
La Corse s’inscrit pleinement dans ce schéma sous le double signe du veau d’or et du bouc-émissaire. L’État-nation assure le laminage de l’identité collective d’un peuple via la destruction de ses ressources linguistiques, culturelles et sociales, en dépossédant de surcroît ses enfants de l’accès à la propriété sur la terre même des ancêtres ; les mouvements néo-libéraux radicalement racistes tentent d’accaparer à leur profit une religiosité populaire multiséculaire, transformant le paradigme universaliste de la valeur sacrée de la vie humaine en facteur de tri sélectif ; les décideurs locaux, quant à eux, ont enfourché sans état d’âme le cheval psychopompe de la marchandisation de tout ce qui peut l’être.
Avec quels capitaux ? Il paraît que l'argent n'a pas d'odeur. Une chose est sûre, il n'a pas d'âme.
Mais il peut naître et se reproduire au bout de celle d'un fusil à canon scié.