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La gestion des déchets au cœur des problématiques insulaires

Selon un récent rapport de l’Agence de l’Environnement et de la Maitrise de l’Énergie, le surcoût du traitement des ordures est très élevé en Corse. Sampiero Sanguinetti revient ici sur les données offertes par ce rapport et montre pourquoi l'insularité et le poids de l'industrie touristique sont des facteurs décisifs de ce surcoût.



U Ruminzulaghju, Dumenicantone Geronimi et Micheli Raffaelli, 1984
U Ruminzulaghju, Dumenicantone Geronimi et Micheli Raffaelli, 1984

La presse insulaire révélait au mois d’avril 2021, sur la base d’un rapport de l’Agence de l’Environnement et de la Maitrise de l’Énergie, que le traitement des ordures coûte de manière générale très cher aux communes et qu’il coûte beaucoup plus cher en Corse qu’ailleurs en France. Ce constat n’est pas anodin s’agissant d’une région qui ne figure pas parmi les régions les plus riches et qui figure même probablement, selon les critères observés, parmi les plus pauvres. Ce surcoût est considérable puisque, selon ce rapport, le coût du traitement des ordures en moyenne nationale française est de 93 euros par habitant alors qu’il est en Corse de 243 euros par habitant, soit deux fois et demi supérieur en Corse qu’en moyenne française.

Les raisons de ce surcoût seraient de deux ordres. Premièrement, la production de déchets est nettement supérieure en Corse qu’en moyenne française, et deuxièmement la collecte et le traitement de ces déchets coûtent plus cher en Corse. Comment justifier ce double débordement ?
 

La masse de déchets générée en Corse

Si les Corses produisent plus de déchets qu’ailleurs, ce n’est pas parce que chaque citoyen consommerait plus. Cela provient du fait que le calcul de la production moyenne de déchets se fait, partout en France et dans le monde, à partir des chiffres de la population permanente. Or cette référence à la population permanente ne suffit absolument pas pour définir la réalité de la population qui séjourne en Corse chaque année, y consomme et y produit des déchets. Ce phénomène est vérifiable dans toutes les régions touristiques et conduit partout à fausser les statistiques, qu’il s’agisse de la production de déchets, de la criminalité, de la consommation, de la santé, de la taille des infrastructures nécessaires… Cela est si vrai que les rédacteurs du rapport de l’Ademe, lorsqu’ils présentent ce qu’est la production moyenne de déchets, ajoutent aux chiffres de la production nationale le détail de cette moyenne au niveau des zones rurales, des zones urbaines et des zones touristiques. La production de déchets rapportée aux chiffres de la population permanente est, bien évidemment, très supérieure dans les zones touristiques par rapport à ce qu’elle est dans les autres zones, rurales et urbaines.

La France fait partie, avec l’Espagne et les États-Unis, des pays qui accueillent le plus de touristes chaque année dans le monde. Officiellement, la première région touristique de France est la région parisienne. En nombre de nuitées, chaque année, trois régions arrivent en tête : l’Île-de-France, le Languedoc-Roussillon (intégrée à l’Occitanie depuis 2016) et Provence-Alpes-Côte-D’azur. Mais la région française métropolitaine où l’impact du tourisme par rapport à la population est le plus fort est incontestablement la Corse. D’où les chiffres impressionnants de production de déchets en Corse par rapport à ce qu’ils sont ailleurs : 666 kilogrammes de déchets par habitant en 2018 contre 529 en moyenne nationale. Soit 137 kilogrammes de plus par habitant en Corse. 

Chaque Français génère en moyenne 44 kilogrammes de déchets par mois. Il n’y a aucune raison de penser qu’individuellement, les habitants de Corse ne se situeraient pas dans cette moyenne. Or, pourtant, les chiffres produits par l’Ademe conduiraient à penser qu’ils en génèrent 55 kilogrammes. La différence, soit 11 kilogrammes, est en réalité le poids des déchets générés par des visiteurs. La production annuelle de déchets en Corse étant de plus de 220 000 tonnes, cela signifie que les habitants permanents génèrent approximativement 178 000 tonnes d’ordure et que les visiteurs en génèrent 46 000 tonnes. La masse des déchets produits par un groupe humain ou animal est un bon indicateur de ce que représente ce groupe. Un rapide calcul au vu des chiffres fournis par l’Ademe permet de conclure que les visiteurs, vacanciers ou touristes, correspondraient chaque année à une population supplémentaire permanente de 87 000 personnes. C’est ce que, dans les entreprises, les gestionnaires qualifieraient d’ETP, « équivalents temps plein ».

Officiellement, la population de la Corse en 2017-2018 était de 330 000 personnes. Au vu de la production de déchets, cette population correspondrait en réalité à 417 000 personnes. Grâce à la production de déchets nous sommes donc, ainsi, en mesure d’évaluer ce que pèse réellement le peuplement de l’île à un moment donné. Il conviendrait de se demander s’il ne faut pas appliquer cette correction au calcul des taux dans un certain nombre de domaines. Cela permettrait de mieux appréhender quelques réalités. Cela, par contre, ne résoudrait absolument pas le problème de l’évaluation des équipements et des personnels nécessaires pour faire fonctionner les services de tous ordres (transports, santé, nettoyage, collecte et traitement des ordures…).

La surpopulation de l’île ne s’étale pas sur l’année. Cette surpopulation se concentre sur des périodes bien précises et en particulier sur les trois mois d’été. À ce moment-là on peut estimer que la population présente sur l’île passe du simple au double. Concentrés sur trois mois, les 87 000 « équivalents temps plein » correspondent, aux termes d’une règle de trois, à 348 000 personnes supplémentaires chaque mois pendant trois mois et la population de l’île passe durant ces trois mois de 330 000 personnes à environ 678 000 personnes.
Dans le domaine des déchets ces variations saisonnières pèsent très lourdement sur l’organisation du travail, l’utilisation des équipements et le coût de la gestion.    
 

Le coût de ces déchets

Au niveau du coût de gestion de la masse de déchets, la Corse offre une nouvelle surprise. Compte tenu de ce que nous venons de dire, il n’est pas surprenant de constater que le coût en Corse est évidemment supérieur au coût moyen enregistré au niveau national français. Ce qui est surprenant, c’est le niveau de ce surcoût.
Le coût de gestion des déchets au niveau national français, je l’ai déjà dit, est de 93 euros par habitant. Dans les zones touristiques, il est officiellement, selon le rapport de l’Ademe, de 147 euros par habitant. Or il est de 243 euros par habitant en Corse, c’est-à-dire très largement au-dessus du coût moyen enregistré normalement dans les zones touristiques.
Si la Corse était une région comme les autres en France, le coût de gestion annuel des déchets pour 330 000 habitants serait approximativement de 30 millions d’euros par an. En tant que région à vocation touristique, ce coût serait effectivement passé à 63 millions d’euros. Dans la réalité il est d’environ 82 ou 83 millions d’euros.
Il existe donc, au delà de la fréquentation touristique, des facteurs supplémentaires de surcoût. Ces surcoûts apparaissent durant la collecte des déchets puis durant le transport de ces déchets des lieux d’émission aux quais de transfert et des quais de transfert vers les centres de traitement. L’Ademe définit, sans surprise, trois facteurs principaux de surcoûts : la géographie du territoire, l’insularité et les fortes disparités saisonnières de production.
Premièrement, la population en Corse est dispersée à travers 360 communes sur un territoire de montagnes relativement étendu. À l’exception des deux agglomérations ajaccienne et bastiaise, la dispersion complique énormément la collecte. Cette dispersion est d’autant plus pénalisante qu’elle emprunte un réseau compliqué de petites routes et ne dispose pas de très grands axes routiers comme sur le continent. Treize quais de transfert ont dû être créés à travers le territoire pour tenter de rationaliser l’acheminement de cette collecte.
Deuxièmement, les centres de traitement des déchets recyclables sont sur le continent. Il faut donc transférer par bateau ces déchets recyclables.
Troisièmement, la gestion du personnel et des moyens techniques est compliquée du fait que la production de déchets peut passer du simple au double durant les périodes de vacances et d’affluence. Enfin la mise en place de services de qualité au bénéfice de petites populations intensifie nécessairement les coûts. Plus une population est groupée, importante en nombre et à peu près stable, plus la rentabilisation des services et l’amortissement des moyens sont concevables. Or ce modèle est très éloigné des réalités de notre île.  
 

La gestion des déchets dans les îles

La gestion des déchets dans les îles à très fort potentiel touristique comme la Corse, Malte ou les îles Baléares est nécessairement coûteuse. Ces trois îles en Méditerranée sont celles où la pression touristique, en fonction soit du territoire soit de la population, est la plus forte. La proportion du nombre de touristes accueillis chaque année par rapport à la surface du territoire est de plus de 4000 touristes par kilomètre carré pour Malte et de plus de 2000 touristes par kilomètre carré pour les Baléares. Ce rapport est de 300 à 350 touristes par kilomètre carré pour la Corse, la Crète ou Chypre. La proportion du nombre de touristes accueillis par rapport à l’importance de la population est de 15 touristes par habitant aux Baléares, 8 en Corse, 5 en Crète, 3,5 à Malte. Que ce soit par rapport à la surface du territoire ou à l’importance de la population permanente, le poids de cette affluence touristique est particulièrement pesant dans toutes ces îles et notamment aux Baléares, à Malte et en Corse.    

Nous avons dit que, parmi les conséquences de cette fréquentation, la production de déchets était particulièrement spectaculaire. Si la Corse, en 2018, affichait la production de 666 kilogrammes de déchets par habitant, les îles Baléares en affichaient selon les périodes entre 700 et 800, et l’archipel maltais 642. Partout, la gestion de ce problème est à la mesure de cette affluence. Au début des années 2000, les observateurs dénonçaient la multiplication des décharges sur les îles Baléares : 172 décharges y étaient dénombrées dont la moitié sur l’île de Majorque. 15% de ces décharges étaient contrôlées, 80% étaient hors de contrôle ou carrément sauvages. Une loi était votée au début de l’année 2019 pour enfin rationaliser la gestion des déchets et des sols pollués. À Malte, la collecte, le ramassage et le transport des déchets est plus facile qu’en Corse. Bien que scindé en deux îles principales très proches l’une de l’autre, le territoire maltais est extrêmement exigu (320 kilomètres carrés à Malte contre 8722 kilomètres carrés en Corse). Les îles maltaises sont en outre dépourvues de relief significatif. Mais la pression démographique et l’affluence touristique y ont conduit à faire du ramassage et du traitement des déchets un problème majeur. Un centre de traitement des déchets a été construit sur l’île principale en 2008. Si le programme de mise en œuvre de ce centre de traitement a correctement fonctionné, il serait officiellement, depuis 2010, en mesure de traiter chaque année 36 000 tonnes de déchets secs recyclables. Or la réalité de la production de déchets à Malte, ce sont environ 260 000 tonnes de déchets.

Cette question de la gestion des déchets est plus visible dans les îles que sur les continents. Dans la réalité cette question est partout aussi difficile à appréhender et elle représente l’un des immenses défis pour l’avenir sur la planète.

 
Mercredi 26 Mai 2021
Sampiero Sanguinetti


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