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Pour une nouvelle organisation territoriale des collectivités publiques en Corse



L'actuel processus de discussions institutionnelles entre le gouvernement et la Corse ne saurait uniquement concerner la question de l'autonomie, aussi centrale soit-elle. Elle doit être l'occasion de repenser l'ensemble de l'architecture institutionnelle afin de la rendre à la fois plus efficace et plus proche des citoyens.
Dominique Taddei, professeur d'économie et ancien député à l'Assemblée nationale, nous propose ici une conception de l'échelon intermédiaire très éloignée de ce que sont nos actuelles intercommunalités.



Carte militaire de l'Isle de Corse, 1768
Carte militaire de l'Isle de Corse, 1768
Les institutions publiques ont en Corse un caractère hybride : alors que l’organisation de la Collectivité de Corse est sui generis depuis maintenant plus de 40 ans et a aboli les départements, les institutions communales et intercommunales relèvent du droit commun des collectivités de France métropolitaine.
Cette hybridation ne serait pas nécessairement un inconvénient, si on ne relevait dans le même temps un grand nombre de dysfonctionnements qui dégradent l’exercice de la démocratie locale ; qui engendrent un déséquilibre de pouvoir entre l’instance centrale d’Ajaccio et les autres institutions locales, et par là-même le risque d’un néo-clanisme ; qui ne respectent pas le principe constitutionnel de parité ; qui sont enfin une source de suradministration coûteuse et inefficace, malgré la bonne volonté de nombre de fonctionnaires territoriaux.
 
Dans le cadre d’une souhaitable autonomie législative et réglementaire, actuellement négociée entre l’État central et les instances territoriales, il devrait être possible de remédier à tous ces dysfonctionnements par la mise en place d’une nouvelle organisation, adaptée aux particularités de notre île, plus simple et partant plus démocratique et efficace, assurant un réel équilibre entre Ajaccio et les différents Communautés, Pays, ou Provinces telles qu’on les désignait au temps de Paoli.
 

Trois niveaux, mais lesquels?

Nous commencerons par délivrer le cœur de ce nouveau dispositif, avant d’en préciser les principales modalités de mise en œuvre :
 
  • Pour une île de 350 000 habitants permanents environ, trois niveaux de collectivités publiques et d’administration sont nécessaires et suffisants ;
  • L’ensemble insulaire et les communes, bases d’une solidarité de proximité qui remonte au Moyen Âge (on ne peut donc les fusionner qu’en cas de volonté quasi unanime des intéressés), sont deux niveaux incontournables de toute organisation de notre île ;
  • Il reste donc à définir un, et un seul, niveau intermédiaire de collectivité publique, que nous appellerons Communauté d’agglomération dans le cas d’Ajaccio et de Bastia, et Communauté de Pays pour le reste du territoire, à dominante rurale.
 
C’est ce niveau qu’il faut préciser, au-delà des ressemblances apparentes avec les actuelles intercommunalités, dont il convient de dépasser les nombreuses carences.
 

Un facteur d'équilibre et de démocratie

En premier lieu, il ne s’agirait plus d’établissements publics de coopération intercommunale mais de collectivités territoriales à part entière. C’est dire qu’elles disposeraient de l’autonomie administrative et ne se situeraient dans aucun système hiérarchique, ni vis-à-vis des communes, ni vis-à-vis de la collectivité de Corse.
 
En deuxième lieu, leur dimension doit être suffisante pour exercer pleinement leur vocation au développement durable de leur territoire, dans un rapport équilibré avec le pouvoir territorial, comme avec l’ensemble des communes de leur ressort : là où la Datar recommandait une population minimale de 15 000 habitants, le législateur de 2015 a pris prétexte des particularités locales pour descendre au niveau, manifestement trop faible, de 5 000 habitants, plaçant en situation d’impuissance et de subordination les plus petites intercommunalités.
Ces mauvais arrangements supprimés, on devrait alors retenir de huit à dix communautés, souffrant une ou deux exceptions au plancher des 15 000 habitants, et limitées au rural profond. Au demeurant, rappelons que le Padduc (Plan d’Aménagement et de Développement Durable de la Corse) avait précisément reconnu neuf « espaces pertinents », suivant un tel découpage. Il va de soi que ce dernier ne pourrait être définitivement arrêté qu’après l’avis conforme de la majorité des communes, représentant la majorité de la population concernée.
 
En troisième lieu, le conseil communautaire serait élu, le même jour que les conseils municipaux, au suffrage universel direct, à la proportionnelle, avec exactement le même mode de scrutin que l’assemblée territoriale : à la proportionnelle à deux tours, avec une légère prime majoritaire, suffisante pour assurer la stabilité de l’exécutif et une barre minimale, évitant un trop grand éparpillement au tour décisif. De cette similitude entre les deux élections, territoriale et communautaire, résulteraient une plus grande simplicité pour les électeurs, susceptible de les intéresser.
De plus, ce mode de scrutin a fait la preuve depuis quatre décennies qu’il suscitait de véritables débats politiques sur les choix des politiques publiques intéressant l’ensemble des territoires concernés. En effet, à la différence de la situation actuelle les élus seront véritablement communautaires et non plus seulement comptables des intérêts communaux. C’est donc, au-delà de la nécessaire démocratisation de la décentralisation, une véritable dynamique des territoires ruraux et urbains que l’on attend de cette réforme.
 
En quatrième lieu, les exécutifs communautaires, ainsi que tous les organismes délégués devraient être strictement paritaires, à la différence de ce que l’on observe encore dans de nombreux cas aujourd’hui, en violation des dispositions constitutionnelles, comme si la tutelle préfectorale qui les autorise se complaisait dans la perpétuation de cette misogynie archaïque.
 
En cinquième lieu, les membres de ces mêmes exécutifs communautaires - présidents, vice-présidents ou délégués - ne devraient être autorisés à aucun cumul de fonctions exécutives (municipales ou territoriales), ni de mandats parlementaires, afin d’abolir toute confusion des genres. Par contre, ils pourraient être conseiller municipal ou territorial.  
 
En sixième lieu, toutes les délibérations du conseil communautaire seraient obligatoirement précédées, sous peine de nullité, d’un avis, d’une part de l’association des maires du territoire concerné ; d’autre part, du conseil de développement économique, social et culturel, représentant de la société civile de ce même territoire.
 
En septième lieu, les plus petites intercommunalités actuelles, étant désormais regroupées, seront plus fortes pour dialoguer avec les instances territoriales, et cela au-delà de toutes les chimères sur la Chambre des Territoires ou un hypothétique Sénat de la Corse, réinventant les formes notables de la France de années 1870. Elles seront plus fortes pour deux raisons majeures : d’abord, parce qu’elles représenteront un poids politique plus important : pour ne prendre qu’un exemple, qui ne comprend qu’une Pruvincia di Balagna unifiée pèsera bien davantage que les deux petites intercommunalités actuelles, inconnues du plus grand nombre ? Ensuite, parce qu’il sera possible de les doter, sur la base du volontariat d’un personnel administratif et technique compétent, aujourd’hui excédentaire au niveau central, à la suite de la disparition des départements.
 
En huitième et dernier lieu, la taille de ces nouvelles communautés de pays sera, en revanche, suffisante pour éviter les conflits de compétences avec les communes que l’on rencontre trop souvent avec les intercommunalités actuelles.
 
Qui ne sent que cette démocratisation de la décentralisation offrirait, en même temps, la possibilité d’une décentralisation insulaire, où le tout Ajaccio ne viendrait pas remplacer le tout Paris, et par là-même propre à nous éloigner de l’enlisement dans un néo-clanisme ?
 
Samedi 29 Avril 2023
Dominique Taddei


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